: Georges Terlon
: Fifine la Bas-Alpine
: Books on Demand
: 9782322150533
: 1
: CHF 2.40
:
: Historische Romane und Erzählungen
: French
: 188
: Wasserzeichen
: PC/MAC/eReader/Tablet
: ePUB
La jolie Fifine a toute la fougue et l'impertinence de sa jeunesse pour elle au lendemain des années de guerre. Fille du maire d'un petit village des montagnes, elle a grandi au milieu des garrigues et des moutons. Attirée par la ville et les joies du mariage, son retour au village n'en sera que plus fracassant. Gare aux hommes, au curé et aux commères, ce ne sont pas une vulgaire canalisation d'eau ou un imposteur quelconque qui vont l'arrêter. Et les mystères ne font que commencer.

Après avoir exercé de petits boulots, comme projectionniste au cinéma du Casino d'Hyères, sa ville natale, c'est en tant qu'enseignant technique que Georges Terlon fera la majeure partie de sa carrière. Aujourd'hui à la retraite, il occupe son temps entre son jardin et l'écriture.
II. Le braco

Si es pas un pau malaut, aven ges de sòu, coume vos paga ? Degun lou farai !

C’est ce qu’entend la Josette au moment ou elle pénètre dans la salle du conseil municipal. Les séances sont très colorées. C’est un mélange de français et de provençal, au point qu’il est difficile pour un non-initié de suivre toutes les nuances des questions, réponses et engueulades. Même les rires sont parfois en patois.

Celui qui vient de parler c’est le vieux Brunet, conseiller municipal depuis qu’il est en âge de voter. Toujours vert malgré ses quatre-vingt-trois printemps, mais qui ne parle pas souvent en français. Pour lui, le provençal, ça sort mieux. Le maire est souvent obligé de faire la traduction, ne serait-ce que pour les deux ou trois personnes de l’assistance qui ne sont pas du pays. Cette fois, un peu énervé le Nabou ! ... pardon, le maire, lui répond dans son patois :

Teise te un pau e escoute. (Tais-toi un peu et écoute.)

Vexé par la remontrance du maire, le Brunet s’enferme dans un mutisme d’où, c’est bien connu, il ne sortira que demain. Josette trouve une place libre à côté du vieux Gaubert. Elle s’y installe et questionne son voisin.

— Il s’agit de quoi ? Qu’est-ce qu’il raconte ?

— On parle de l’eau et le Brunet vient de dire :Tu n’es pas un peu malade, on n’a pas d’argent, avec quoi tu veux payer ? Personne ne voudra faire ce chantier.

Josette ne comprend pas de quels travaux il est question.

— Précise un peu, s’il te plaît.

— On parle de capter la source des Escombes et de la canaliser jusqu’au-dessus du village. Il faut aussi faire un bassin de réserve d’eau potable, et enfouir tout un réseau de tuyauterie pour alimenter chaque maison.

Josette est un peu surprise par ce projet audacieux de la municipalité, mais elle ne peut s’empêcher de déplorer la perte de folklore de l’approvisionnement en eau actuel.

— C’est dommage, on se retrouve au rond de la fontaine avec nos bidons et on bavarde longuement en attendant le remplissage. C’est sympa ! Non ?

Le maire poursuit, s’adressant en particulier à son conseiller municipal qui vient de l’interpeller en patois, et du même coup à l’attention de tous :

— Je comprends bien ton inquiétude, mais il faut savoir que nous allons bénéficier d’une subvention de la préfecture, en complément de la part versée par le syndicat intercommunal des Basses-Alpes, pour venir en aide aux communes qui n’ont pas les moyens d’installer ces commodités. Il ne restera qu’une toute petite partie à notre charge, vraiment minime. On survivra !

Le Brunet n’est pas pour autant rassuré. Il aimerait bien savoir à combien se monte cette « petite partie à notre charge », entendre un chiffre. Exceptionnellement il sort de son mutisme.

Quant fai acò ? (Combien ça fait ça ?)

— Pour pouvoir le chiffrer, il nous faut demander des devis aux entreprises, et les transmettre à la préfecture. Je précise que ces devis sont faits gratuitement.

Le maire marque une pause pour donner à ses conseillers le temps de la réflexion, avant l’estocade. En effet le moment est venu de leur faire voter la décision qu’il vient de prendre seul. Pour les inciter à bien voter, il ajoute encore une couche de pommade.

— En définitive c’est vous qui décidez. Il faut que vous soyez tous d’accord. Il est bien évident que pour entreprendre ces démarches, il est nécessaire que la décision soit prise par un vote à l’unanimité du conseil municipal. C’est le motif principal de la réunion d’aujourd’hui.

Le Payan est dans ses petits souliers. Il a d’excellentes raisons pour que le projet se réalise. Les dés sont jetés. Il allume la mèche.

— Puisque vous n’avez pas de questions à poser, nous allons passer au vote. Qui est favorable au projet ?

Presque tous sont d’accord Le Payan comptabilise les voix. Il en manque une. Le Brunet continue de bouder. Il faut absolument lui faire lever la main.

— As un trapalas souto lei bras ? (Tu as un grand trou sous les bras ?)

— Ounte ? (Où ça ?) Et pour voir où est le trou, il lève le bras.

L’assistance applaudit, le maire enchaîne :

— Bon, eh bien puisque tout le monde est d’accord, on va faire le nécessaire auprès de la préfecture et solliciter les devis aux entreprises, et bientôt nous aurons tous l’eau courante à la maison.

— Sujet suivant :lou capelan demande l’autorisation de cultiver ce qui est l’ancien jardin du curé, et qui n’est plus travaillé depuis dix ans. Il s’agit de la parcelle qui se trouve juste à côté de la maison du Lucien Bernard. Donc proche du presbytère. Il pourra faire quelques semis de salades, radis, courges et autres légumes.

Personnellement je n’y vois aucun inconvénient. C’est une question qui peut être décidée rapidement. Votre avis s’il vous plaît ?

Neuf mains se lèvent spontanément.

— Accordé à l’unanimité. Sujet suivant...

Pendant que se déroule, tambour battant, cette séance du conseil municipal, sur le chemin parallèle à la route dite GC3 qui conduit vers la ville de Sisteron, à quelques dizaines de mètres du village, on peut voir un mulet lourdement chargé, dont le conducteur semble pressé d’arriver à destination. L’homme d’une trentaine d’années paraît craindre un possible poursuivant. Il regarde fréquemment en arrière et tente, en paroles et en actions, de faire avancer l’animal plus rapidement. Il tire désespérément sur la bride. Peine perdue, le mulet conserve sa vitesse de croisière. Encore quelques mètres et ils arrivent sur la place. Puis tous les quatre s’arrêtent devant le bistrot, le mulet et son chargement, son patron et sa soif. À ce moment-là, le rideau anti-mouche de la porte d’entrée s’écarte bruyamment. Le Borel paraît sur le pas de la porte.

— Salut Jules !As ben passa ? (Tu as bien passé ?)

Man pas aganta mai ere just. (Ils ne m’ont pas attrapé mais c’était juste.)Ajude me un pau, lèu. (Aide-moi un peu, vite.)

Le Gustave Borel et le Jules se placent de chaque côté du mulet et soulèvent les deux sacs qui sont suspendus sur son bât. Le Gustave esquisse une grimace de surprise due au poids inattendu du contenu du sac. Il ne peut retenir une exclamation, mi-provençal mi-français.

Mai bèu boudiéu, que li a aqui dedin ? C’est pas du chamois que tu m’apportes ! C’est du plomb.

— Chut ! … Laisse le Bon Dieu où il est, et parle un peu moins fort. Tu vas m’attirer des ennuis. Ce qui est dans le sac, tu vas le déguster. C’est du premier choix. Mets vite ça en lieu sûr, et sers-moi une bière. Il fait très soif ici.

— Je vais d’abord le ranger à la cave. Pendant ce temps sers-toi, la bière est dans la glacière derrière le bar. Je suis seul, ma femme est au jardin et Josette est allée à la mairie pour assister au conseil municipal. D’ailleurs, il doit y avoir tout le village là-bas, il n’y a personne dans les rues. Alors fais comme chez toi. Je reviens de suite.

Pendant que le Gustave s’éclipse dans la cuisine, et déballe la cargaison de chamois qu’il vient de recevoir, le Jules est seul au bar. Pas un client en vue. De l’extérieur le seul bruit qui parvient c’est celui que fait le mulet qui s’impatiente. Probablement il aimerait bien aussi boire quelque chose, de préférence un seau d’eau. Mais le Jules n’y pense pas. À l’instant où il lève le coude pour vider son premier verre, le bruit d’un meuble que l’on traîne sur le dallage de la cuisine lui parvient. Il repose son verre sur le bar, écarte le rideau sur la porte d’entrée de la pièce à côté, et aperçoit le Gustave qui déplace la lourde table de cuisine. Intrigué par ce déménagement insolite, le Jules l’observe et ne tarde pas à comprendre.

À l’emplacement où elle était, la table servait aussi de protection à un carreau amovible. Le Gustave le déplace et soulève un anneau qui permet l’ouverture d’une trappe...