: Cindy Marie-Nelly
: Les Âmes Engagées
: Books on Demand
: 9782322385065
: 1
: CHF 5.30
:
: Fantasy
: French
: 242
: Wasserzeichen
: PC/MAC/eReader/Tablet
: ePUB
La mère de Xavier va mal. Bipolaire et dépressive, elle a besoin du soutien des siens pour retrouver l'équilibre, ancrer ses pieds dans la réalité. Un séjour en Guadeloupe, son pays natal, lui permettra de se reposer, et offrira à Xavier l'opportunité de découvrir qui il est vraiment. En cherchant dans l'histoire familiale et en se perdant dans l'univers mystique de la culture antillaise, le jeune homme finira par lever le voiles sur des vérités qui ne sont pas ce monde.

Née à Paris, Cindy Marie-Nelly a partagé son enfance entre la banlieue et la Guadeloupe où elle part vivre à la veille de l'adolescence. Elle retrouve la Métropole pour ses études supérieures et, alors qu'elle se spécialise en Littérature Francophone, décide, pour le plaisir, d'emprunter les sentiers tracés par les auteurs qu'elle admire. Elle continue d'écrire, par passion, lorsque sa carrière d'enseignante au secondaire débute, espérant insuffler le goût des Lettres à ses élèves autant qu'à ses lecteurs. Elle vit maintenant avec sa famille à Londres où elle enseigne dans un établissement français.

Chapitre II


Après quelques jours de retrouvailles chez Mamie, qui semblaient s’être déroulés comme un long chapelet de prières et de repas à rallonge, Jilo nous avait accompagné à la clinique, où, après une série d’entretiens administratifs et médicaux, Maman avait pu prendre ses quartiers dans sa nouvelle chambre. L’atmosphère hospitalière la rassurait, l’air glacé des climatiseurs, l’odeur de l'antiseptique, les semelles collantes des infirmières qui arpentaient le linoléum des couloirs, étaient pour elle un cocon rassurant. Elle savait qu’on prendrait soin d’elle.

Elle souriait en ouvrant sa valise, rangeant avec soin ses quelques effets, s’assurant d’être bien entourée de tous ses colifichets : crucifix, chapelets, images saintes, cailloux colorés, et ses deux livres de chevet : La Sainte Bible, qu’elle parcourait dans son intégralité une fois par an et son roman préféré, écorné, scotché et à la couverture protégée par du papier Kraft :Le Gouverneur de la rosée de Jacques Roumain. En bonne documentaliste, elle était une lectrice avide, préférant la lecture à toute autre activité, repas y compris, mais ses deux livres étaient constamment en rotation, jamais loin de ses yeux, de ses doigts. Ils lui étaient particulièrement nécessaires en période de crise et semblaient réussir à maintenir à distance la totale hystérie qui pouvait parfois la secouer avec violence.

Pourtant, même dans cette situation délicate, la plus grande crainte de ma mère restait de me peser, me faire du mal, de me détourner de ce qui, selon elle, devait rester ma priorité : mes études et ma musique.

" Tu n’as pas besoin de revenir avant ton avion, doudou. Je serais très bien ici. Dors un peu, va prendre un bain de mer puis rentre à Montreuil. Essaie de ne pas prendre trop de jours avant de retourner à la fac, tu sais que tes partiels approchent…"

Jilo discutait dans le couloir avec l’infirmière plantureuse et j’étais allongé sur le lit à côté d’elle. Elle me grattait le crâne de ses longs doigts effilés, faisant rouler une boucle après l’autre, démêlant mon afro avec soin, comme elle l’avait fait des millions de fois auparavant. C’était notre rituel.

" Je reviens te voir ce soir Maman, murmurai-je en me laissant glisser dans la langueur de l’instant,

- Mais non doudou ! Vraiment, je commence déjà à me sentir bien mieux ! Ne perds pas ton temps dans les couloirs de l’hôpital, plus vite tu seras parti, plus vite je pourrais me concentrer sur ma convalescence.

- Je reviens ce soir. Maëlle m’emmènera en voiture parce que Tonton Jilo travaille. Raphaël viendra aussi… si ça te va ?"

Comme à son habitude, elle se crispa à la mention de mon meilleur ami. Ses doigts se firent plus fermes sur la mèche qu’elle lissait et mon cuir chevelu en prit un coup.

" Tchip. Qu’est-ce qu’il veut encore celui-là ? Il n’a pas encore fini en prison ? Honnêtement Xavier, je ne comprendrai jamais ce que tu lui trouves à cet énergumène ! Un vrai délinquant ! Tu sais que je n’aime pas te savoir avec lui ! Lui et Maëlle ne pourraient pas être plus différents !"

Je n’avais jamais osé lui dire que les jumeaux étaient certes diamétralement opposés, mais qu’ils étaient également inséparables. Je savais que Maëlle mourait d’envie de partir loin de l’île, de poursuivre ses études en métropole, ou mieux, aux Etats-Unis, mais qu’elle ne partirait pas tant que Raphaël ne serait pas prêt à la suivre. C’était comme un accord tacite entre eux. Raphaël savait que dans quelques années, il vivrait loin de la Guadeloupe, pour que sa sœur explore son potentiel. Mais pour l’instant, c’était son tour à lui de briller, et la Guadeloupe était son terrain de jeu.

J’aimais les regarder interagir, un genre de danse dont eux seuls connaissaient la chorégraphie et les dialogues, mêlés d’insultes, de blagues qu’eux seuls comprenaient, de duels à coups de grandes gifles sournoises et de promiscuité perturbante.

Contrairement à ce que ma mère pensait, ils étaient à la fois différents et mêmes.

" Ils sont tous les deux inquiets pour toi, et veulent te souhaiter un rapide rétablissement. Maëlle a dit qu’elle te ramènera des fruits du manguier de leurs parents à Pointe-Noire. Elle doit être sur la route maintenant pour aller en chercher. On revient ce soir. Et arrête de t’inquiéter pour moi. J’ai vingt-trois ans je te signale, je ne suis vraiment plus un petit garçon !

- Sé pou sa ou couché si tété a manmanw kon bébé ?!4" m’interrompit une voix tonitruante.

Jilo était de retour dans la chambre, hilare, se moquant de nos embrassades.

" Allez, laisse la malheureuse se reposer, va ! Christiane, dors ma chère ! Je repasse te voir avec les enfants demain soir. Xavier va revenir plus tard.Domi ti bwen ma sœur, sa ké few du bien"

Il avait embrassé ma mère sur le front pendant que je me débattais pour sortir dignement de l’étroit lit d’hôpital.

" On va en profiter pour passer voir Tonton Clément, il est aussi dans cette clinique mais au 3e étage, on l’embrasse de ta part ?"

Tonton Clément était en réalité mon grand-oncle, le frère de ma Mamie mais qui était pour moi, un grand-père de substitution. Paraplégique depuis l’adolescence, après une mauvaise chute qui l'avait vu s’écraser sur les rochers aux pieds d’une Cascade de la Basse-Terre, il s’était installé avec sa sœur et son jeune époux aux Abymes immédiatement après leur mariage. Il avait"fait plus d’école" que le jeune couple et s’était occupé de la partie administrative de l’exploitation agricole que mon grand-père développait à la sueur de son front. Toujours tiré à quatre épingles, Tonton Clément n’avait jamais laissé son fauteuil lui dicter sa façon de vivre, et même perpétuellement assis, il m’avait toujours semblé être un géant.

Il ne s’était jamais marié, alors qu’avec ses yeux clairs et son allure d’acteur de cinéma italien à la moustache lustrée et aux boucles cirées, il avait eu sa charge d’admiratrices, malgré son handicap. Pourtant, il était resté aux côtés de sa sœur toutes ses années, souvent plus présent que son mari, et encore plus lorsque ce dernier était décédé après un accident de chariot, piétiné par son propre taureau, laissant derrière lui sa jeune veuve et ses deux enfants : Christiane et Gilles, ma mère et Tonton Jilo.

Il ne restait de lui, à mes yeux, que sa photo couleur sépia qui trônait en format A1 au-dessus du fauteuil de Mamie, et les diverses anecdotes de Mamie ou Tonton Clément, vantant sa force herculéenne et son mutisme naturel.

Il s’appelait Robert, un agriculteur originaire de Vieux-Habitants. Tonton Clément m’avait raconté qu’à l’époque, ma grand-mère s’était rebellée contre sa famille, par amour pour lui. Les origines modestes de mon grand-père, un nègre de campagne, un agriculteur, en faisait un prétendant inacceptable aux yeux de la longue lignée de commerçants d’origine libanaise dont elle était issue. Ce choix était pour eux inconcevable, indécent.

Pourtant, Papi Robert venait d’acheter une parcelle de terrain dans les Grands-Fonds aux Abymes qui devint rapidement, grâce à son dur labeur, ses contacts dans le milieu et surtout, le sens des affaires de Tonton Clément, une exploitation agricole très rentable. Malgré ce succès, Mamie et Clément ne s’étaient jamais réconciliés avec les leurs, préférant former à eux deux, une unité familiale solide. La sœur s’était occupée du frère lorsqu’il avait perdu l’usage de ses jambes, le frère avait relevé la sœur lorsqu’elle avait été foudroyée par le deuil de l’homme de sa vie.

Maintenant qu’il était à la retraite, Clément était toujours disponible pour passer du temps avec le" ti-vacancier" que j’étais. Il m’avait appris à apprécier les grands classiques du gwo ka, de la...