: Nathalie Canitrot
: Rouge Noir Editions
: D'or et de grenat Flore et Martin
: Rouge Noir Editions
: 9782382540770
: 1
: CHF 5.20
:
: Historische Romane und Erzählungen
: French
: 342
: Wasserzeichen
: PC/MAC/eReader/Tablet
: ePUB
L'an 872. Dans la belle cité de Compiègne, sous le règne de Charles le Chauve, la vie commerçante est riche et dynamique. Messire Martin Mallagrin, maître orfèvre reconnu et respecté, exerce son métier aux côtés de son épouse Flore. Ils partagent non seulement la passion de leur profession, des pierres précieuses et du Grenat du Sud en particulier, mais aussi l'amour qu'ils ont pour leurs six enfants. Cette famille aimante et unie nous permet de vivre au quotidien, les joies, les peines et les amours des femmes et des hommes de ce siècle. Nous y découvrons le travail exigeant, délicat et merveilleux d'un orfèvre attaché à la cour royale, mais aussi les complots, la vie et la politique d'un royaume. Suivons-les auprès du roi, sur les routes du royaume et dans les rues de Rome et de Salerne. Partageons également leurs émois, leurs larmes et leurs rires.

En ce matin de 872, malgré la fraîcheur automnale, les badauds et les clients étaient nombreux devant les échoppes. Compiègne, cité royale, située en aval du confluent de l’Oise et de l’Aisne, était une ville vivante où l’artisanat était important et dynamique. La foire annuelle à Venettes, non loin de la ville, promettait d’être fructueuse d’autant plus que Martin, maître orfèvre, attendait impatiemment des clients venant de Belgique et de Poitiers. Il exerçait son art depuis bientôt vingt-cinq ans et sa réputation de créateur et de novateur n’était plus à faire. Á la mort de son père, il avait repris l’atelier encouragé par son maître formateur et bien encadré par sa corporation. Petit à petit, tout en continuant la fabrication des ciboires et autres objets religieux, il avait créé des nouveaux modèles de vaisselle et de bijoux, parures et fibules pour les mantels. Son épouse, dame Flore, l’aidait le matin, en esquissant quelquefois les dessins essentiels à la confection des formes en bois ou en plâtre, si l’objet n’était pas façonné « au jugé ». La plupart du temps, elle conseillait les clients dans leurs achats car elle avait un goût très sûr et ils ne pouvaient se passer de ses avis.

Ils étaient mariés depuis de longues années et il l’aimait comme au premier jour. Elle lui avait donné six beaux enfants dont trois garçons mais sa silhouette restait pratiquement la même : souple et élégante. Il adorait ses rondeurs et le soir venu, dans l’intimité de leur chambre, il les redécouvrait tout en respirant le parfum frais de son corps et de ses cheveux châtain foncé.

Un toussotement discret le tira de sa rêverie voluptueuse et il se tourna vers son ouvrier.

—Maître, un envoyé de notre bon sire, Charles II demande à vous rencontrer. Je l’ai introduit dans votre cabinet.

— Merci, Bérenger. Dame Flore est-elle arrivée ?

— Pas encore, mais elle ne saurait tarder, il est presque huit heures.

Martin acquiesça et se dirigea d’un pas alerte vers l’émissaire du roi. Il ne fallait pas le faire attendre d’autant plus qu’une commande royale auréolerait l’atelier et son travail.

— Messire, je suis à votre disposition, dit-il en pénétrant dans la pièce et en le saluant.

— Allons, Martin, as-tu oublié tes vieux amis ?

— Bertrand, comment vas-tu ? s’exclama-t-il en lui donnant l’accolade. Mon ouvrier m’avait annoncé un représentant du roi.

— Mais je le suis, mon ami, je le suis ! Notre bon sire est ici, dans cette cité qu’il aime tant et qu’il visite chaque année. Il désire offrir un bijou à la reine ainsi que te commander une croix.

— Je suis à son service. Quand puis-je venir en la demeure royale ?

—Après vêpres, accompagné de ton épouse en qui le roi reconnaît un talent exceptionnel et un goût très sûr.

— Nous viendrons donc avec quelques esquisses. Te joindras-tu à nous pour le souper ?

— Ce soir, c’est impossible mais demain avec plaisir.

Bertrand observa son compère et trouva que le mariage lui donnait une assurance sereine. Martin était de taille moyenne, aux cheveux noirs, courts sur le front et longs sur la nuque, au visage fin mais aux traits masculins et séduisants. Dans leur jeunesse, les femmes succombaient facilement à son charme d’autant plus que ses yeux bleu nuit leur promettaient monts et merveilles.

— Je constate mon ami, dit Bertrand, que tu n’as rien perdu de ton élégance d’antan et que l’union entretient ta silhouette.

— Tu n’as rien à m’envier, Bertrand, tu es aussi musclé et séduisant malgré les années. Je suppose que dame Héloïse, ton épouse, doit trembler en pensant aux donzelles de la cour.

—J’ai son entière confiance et elle sait que ces jeunes beautés ne m’attirent pas. Je suis heureux en ménage, tout comme toi, même si cela étonne notre entourage. Quant à ma musculature, le jeu de paume est un sport complet.

Flore entra à ce moment-là dans l’atelier et son époux se précipita pour la conduire vers Bertrand. Ce dernier, justement, admirait la démarche légère de la belle ainsi que ses hanches pleines soulignées par la fluidité de sa robe abricot malgré le surcot en fourrure qu’elle portait pour la protéger du froid. Son port de tête était toujours aussi altier et son regard vert mousse toujours aussi pétillant.

— Bertrand, quelle joie de vous revoir ! dit-elle en l’embrassant. Êtes-vous ici pour affaires ?

— Une commande royale, mon amie. Je vous attends après vêpres pour vous conduire auprès du roi. Je dois partir, je n’ai que trop tardé. Que Dieu vous garde !

Il quitta l’atelier et nos deux artisans, d’un même mouvement, se dirigèrent vers leurs tables de travail afin de réfléchir aux modèles qu’ils pourraient proposer au monarque. Ils devaient être uniques, sertis de pierres précieuses tels les grenats, émeraudes et d’autres gemmes ou du verre coloré, et la pièce principale ou support naturellement en or. Pour le bijou de la reine, Flore dessina des fibules en or enchâssées dans des alvéoles suivant la technique du « cloisonné ».

Nul besoin de parler ou de se concerter, leurs dessins et leurs idées étaient semblables et se complétaient naturellement. Leur amour les unissait et l’un était la continuité de l’autre, autant professionnellement que dans la vie privée.

Ils reçurent beaucoup de clients. La foire de Compiègne était appréciée et les bourgeois, les nobles et les religieux passaient leurs commandes à cette époque. Ils entendirent sonner la demie de trois heures à la chapelle Sainte- Marie1. Ils se hâtèrent tellement qu’ils furent même en avance. Bertrand les introduisit dans le cabinet secret de sa majesté.

La pièce était accueillante avec des tapisseries murales, des coffres et des arches bancs. Mais le plus inoubliable était le manuscrit aux reliures en or incrustées d’ivoire placé sur un présentoir en bois. Martin et Flore connaissaient la passion du roi pour les reliures et l’orfèvrerie et sa protection pour ces arts en facilitait la reconnaissance et la renommée.

Ils virent aussitôt le monarque et ils lui firent la révérence. Charles était un homme mince, imposant, aux cheveux et aux yeux noirs et brillants. Son nez long et fin surplombait une moustache cachant des lèvres charnues.

Il les accueillit simplement et les invita à prendre place.

— Je suis heureux de vous revoir chers amis et j’ai hâte de découvrir vos esquisses, ajouta-t-il en se tournant vers Flore.

Elle lui sourit et les sortit de son carton. Les modèles séduisirent le souverain bien qu’il apporta quelques modifications. Il destinait la croix à sa future abbaye et les fibules le ravirent. Il était un homme de goût et à l’intelligence fine. Il aimait la ville de Compiègne et à chaque visite, il y apportait de nouveaux projets.

— Ces créations sont de vraies merveilles, maître Martin, et à chaque rencontre vous me surprenez encore, le complimenta Charles. Les fibules seront-elles prêtes pour l’anniversaire de la reine Richilde ?

— Nous ferons l’impossible, Sire. Nous nous y consacrerons de l’aube jusqu’à complies.

— Je le sais fort bien, maître Martin, et je connais votre diligence ainsi que votre talent. Dame, dit-il en se tournant avec élégance vers Flore, je vous rends grâce pour vos esquisses si détaillées et pour votre finesse de goût. Il est vrai que vous faites exception parce que peu de femmes ont un labeur en dehors de leur logis. Vous êtes surprenante, novatrice !

— Merciement, Sire. C’est un honneur et avant tout un plaisir d’œuvrer pour vous, et j’y mettrai tout mon cœur et mon savoir. Je n’ignore pas que beaucoup de gens désapprouvent mon activité au sein de l’atelier de mon époux, mais j’ai le goût des beaux ouvrages et de la liberté, ajouta-t-elle en rougissant.

Charles la trouvait belle avec ses yeux couleur de la mousse des bois, ses longues nattes ramenées devant entremêlées de rubans, conformément à la mode actuelle. Elle respirait la santé, l’intelligence et une sérénité qu’il lui enviait parfois. Il...