: Philippe Henry
: La théorie des flaques Enquête sur la mort d'une diva
: Books on Demand
: 9782322418701
: 1
: CHF 5.20
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: Hauptwerk vor 1945
: French
: 202
: Wasserzeichen
: PC/MAC/eReader/Tablet
: ePUB
"La théorie des flaques" est le récit d'une enquête menée par une journaliste à la suite de la mort, brutale et inexpliquée, d'une jeune actrice déjà très célèbre. Le public n'a pas compris comment une femme si belle, adulée et célébrée déjà par de nombreuses récompenses, avait pu disparaître ainsi, sans que l'on sache d'ailleurs si elle s'était suicidée ou si sa mort avait une cause naturelle. La journaliste, intimement touchée également par cette mort, a éprouvé le besoin de mieux connaître la personnalité de cette diva au-delà de l'image qu'elle offrait au public et peut être d'expliquer et ainsi de mieux accepter cette disparition. Ce roman est en large part constitué des différentes interviews menées par cette journaliste auprès des proches de la diva."Je ne suis pas sûre, alors que mon enquête approche de son terme, de me sentir moins coupable. Par contre je suis au moins apaisée. Marie est devenue une amie. Je la comprends mieux je crois. Il me semble que la culpabilité a cédé la place à la tendresse."

Philippe Henry a mené sa carrière dans le monde bancaire, après ses études de lettres. Il est à présent retraité et vit en Loire atlantique après plusieurs années passées au Pays basque. Auteur de plusieurs romans publiés chez BoD, il s'intéresse à des genres littéraires variés : enquête policière, roman psychologique, chroniques humoristiques.

Entretien avec Julie


Habilleuse de Marie.

Ma rencontre avec Jean avait été éprouvante. Finira-t-il par se remettre de ce deuil ? L’acceptera-t-il ou au contraire s’en sentira-t-il de plus en plus responsable ? Peut-on vraiment lui faire reproche de sa cécité ? Parce qu’alors, ce sont tous les proches qui sont en cause. Tous ceux qui l’ont côtoyée sans rien voir ou en mettant ce qu’ils voyaient sous le coup d’une fatigue ou d’une petite baisse de moral. Ces gens-là aimaient Marie. S’ils n’ont rien fait, c’est parce que Marie était l’image incarnée de la jeunesse et de la vie. En parlant avec Jean, j’ai compris cela : Il y avait une impossibilité à associer Marie à l’image de la mort. Je ne sais pas comment dire, c’était comme le feu et l’eau, L’un exclut l’autre. L’imaginer inerte et froide au fond d’un cercueil, comment voulez-vous ! Alors s’ils voyaient Marie avec un souci, ils se disaient que cela allait s’arranger. Eventuellement ils essayaient de l’aider. Mais on ne pouvait pas imaginer que l’enjeu était de l’empêcher de basculer dans la tombe.

Lorsque j’ai pris contact avec Julie pour l’entretien qui va suivre, je me disais que cela me permettrait de mieux comprendre cette ombre dont m’avait parlé Jean D…. Julie était l’une de ses rares intimes. Elle devait savoir. Je l’ai rencontrée dans un café où je vais souvent. Je lui avais donné rendez-vous. Elle est arrivée à l’heure précise. Je l’ai reconnue tout de suite. Un côté légèrement vieille fille qu’elle avait, avec une jupe un peu longue, des cheveux tirés vers l’arrière. Elle était souriante malgré tout.

Cet entretien a commencé bizarrement. Juste après que l’on se soit serré la main, elle m’a déclaré que me voir face à elle la mettait mal à l’aise. Je ne m’attendais pas du tout à cela.

— Oui, mal à l’aise. Parce que, vous le savez sans doute, Mademoiselle – Marie, je l’appelais Mademoiselle— a voulu vous rencontrer il n’y a pas longtemps.

— Moi ! Mais je n’en ai rien su !

— Oui vous. Elle était intéressée par votre travail et pensait que ce serait bien de faire une interview avec vous. C’était il y a près un an. Je crois qu’elle avait contacté votre journal. Ils ne vous en ont pas parlé ?

— Mais non, pas du tout. Vous pensez bien que si je l’avais su, j’aurais sauté sur l’occasion. En tous cas je me serais manifestée auprès d’elle.

— Elle a été déçue d’ailleurs de ne pas entendre parler de vous. Le destin est curieux. Vous auriez pu l’interviewer à l’époque, et aujourd’hui, elle n’est plus là et c’est à moi que vous parlez, son habilleuse, pour que je vous raconte ce que je sais d’elle. Cela aurait été mieux qu’elle vous parle directement. A l’époque, elle n’était pas en grande forme. Peut-être vous parler lui aurait-il fait du bien ?

Je me suis rappelé ce sentiment de culpabilité que j’avais eu à sa mort, qui m’avait en grande partie poussée à mener cette enquête. Je ne savais pas, à l’époque, expliquer d’où me venait ce sentiment. Julie m’en donnait peut-être une sorte d’explication. Auraisje inconsciemment ressenti que Marie avait en vain cherché à me joindre ? Quelle alchimie occulte m’en aurait-elle avertie ?

— Bon, alors enfin, cela ne s’est pas fait. C’est donc moi qui suis en face de vous. Je la connaissais depuis ses débuts. Même avant. En fait, la première fois que j’ai noué un contact particulier avec elle, Marie était sur le point de passer son premier casting. Elle avait vu l’annonce dans un journal local. A l’époque, j’étais sa coiffeuse. Evidemment, elle n’allait pas souvent chez le coiffeur. Ils n’avaient pas beaucoup de sous dans sa famille. Mais je la voyais une fois tous les deux trois mois quand même. On parlait ensemble comme font les coiffeuses avec leurs clientes, mais elle, c’était un peu différent. Avec les jeunes filles qui passaient entre mes mains, même les femmes d’ailleurs, on se racontait des histoires sans grand intérêt. Les gens me parlaient d’eux. Moi, j’étais là pour écouter et poser quelques questions simplement pour montrer que cela m’intéressait. Elle, c’était une fille attachante. Plus que les autres filles de son âge. Elle ne me parlait pas vraiment d’elle, des petites choses qui lui arrivaient. Elle semblait surtout concernée par les autres. Par exemple, elle s’intéressait à moi. Jamais je n’ai vu une cliente me poser des questions sur ma vie. Elle, elle voulait savoir où j’habitais, si j’étais mariée, si j’avais des enfants et à quoi je m’intéressais. Au début, je ne savais pas l’intérêt qu’elle portait au théâtre et au cinéma. Ou elle m’en avait peut-être parlé une ou deux fois, mais pas plus. Et puis un jour, elle m’a dit qu’elle allait passer un casting. Son premier casting. C’est pour cela qu’elle était venue au salon. Pour se faire faire une beauté. Ce jour-là, elle a beaucoup parlé. Elle rêvait d’obtenir un rôle bien sûr. Même un tout petit. Ce qu’elle voulait, c’était mettre le pied à l’étrier comme elle disait. Vous auriez vu son visage lorsqu’elle en parlait. Elle était illuminée. Radieuse. En même temps, elle avait peur d’aller seule au rendezvous. Moi, je ne travaillais pas l’après-midi. J’ai vu que cela lui ferait plaisir si je l’accompagnais. Et puis moi aussi après tout j’étais curieuse de voir comment cela se passait un casting. Je lui ai proposé de l’emmener. Je suis passée la prendre chez elle en voiture après le déjeuner. Elle avait mis ce qui devait être sa plus belle robe. Un peu aguicheuse peut être, avec un décolleté légèrement trop prononcé, mais entre nous, son corps méritait bien cela. Quand nous sommes arrivées là-bas, c’était un studio à Boulogne, elle n’en menait pas large. La trouille quoi. Dans la salle vers laquelle des pancartes nous avaient dirigées depuis l’entrée, plusieurs filles attendaient leur tour. On se regardait un peu en douce. Des sourires, même si sans doute chacune se disait qu’elle était mieux que les autres en face. Elles rêvaient sans doute que toutes se cassent la jambe en pénétrant dans la salle d’audition, ou se mettent à bégayer. Et en même temps, elles ne pouvaient pas se détester vraiment. Toutes étaient dans le même bateau, à guetter la terre ferme. Chacune savait pertinemment, pour l’éprouver elle-même, ce que ressentaient les autres. Bref, nous attendions. On feignait une attitude calme, blasée même. Surtout Marie. Cela avait beau être la première fois, elle voulait montrer aux autres qu’elle connaissait le truc et que pour elle tout cela n’était pas un problème. Elle bluffait évidement. On a dû rester comme cela à peu près une heure, et puis cela a été son tour. Je n’ai pas pu entrer dans la salle bien sûr. J’ai attendu dehors avec les autres filles. J’avais le stress, comme si c’était moi qui passais l’audition. Elle est bien restée un quart d’heure avec eux. Je ne quittais pas des yeux la porte qu’elle avait refermée sur elle. Puis elle s’est ouverte. Je me souviens. Alors que lors de son entrée on avait l’impression qu’elle faisait de tous petits gestes, comme pour ne pas faire de bruit, là, en sortant, elle a ouvert la porte sans hésitation. Fermement. Elle est ressortie soulagée. Contente que cela soit fini sûrement, mais plus que cela. Je dirais qu’elle paraissait sûre d’elle. Et pourtant aucune idée quant au succès ou non de son audition. En tout cas, c’est ce qu’elle prétendait. Après, Je l’ai déposée chez elle. Au cours du trajet de retour, elle n’arrêtait pas de jacasser. Peut-être quoi qu’elle en dise avait-elle l’impression qu’elle avait fait une bonne prestation. Ou simplement l’audition terminée, elle se sentait libérée. C’était un vrai moulin à paroles ! Et en fin de compte, ce premier casting a été le bon. Ça a marché. Elle a été prise. Elle avait un coup de fil le soir même. Elle m’a...