: Herbert George Wells
: La Burlesque équipée du cycliste
: Books on Demand
: 9782322170333
: 1
: CHF 2.00
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: Science Fiction
: French
: 273
: Wasserzeichen
: PC/MAC/eReader/Tablet
: ePUB
Des Don Quichotte, chaque époque en voit naître une kyrielle. Au début du siècle, ils enfourchaient un vélo, comme cet Hoopdriver qui se lance sur les routes campagnardes afin de mieux maîtriser sa Rossinante d'acier. Ainsi, sans le vouloir, au cours de son périple, le petit vendeur de calicot découvre l'amour. Mais la Dulcinée peut être envoûtée par un suborneur. Alors commence la véritable aventure. Elle a le parfum des Pickwick papers de Dickens. Elle aurait pu être interprétée par Buster Keaton. En effet, on sourit ou on rit de cette équipée, mais, quelquefois, le rire se coince dans la gorge.

Né en 1866 à Bromley (Angleterre), d'une famille pauvre, Herbert George Wells débute comme apprenti à 14 ans, mais il s'instruit seul, obtient une bourse (1884), et se spécialise en biologie à l'université de Londres, dont il sort diplômé en 1888. Devenu professeur, mais toujours démuni d'argent, il demandera au journalisme un complément de ressource. Son premier livre est un ouvrage de biologie, son second un roman : La Machine à explorer le temps (1895), dont le succès est immédiat. Un des pionniers, avec jules Verne, du roman d'anticipation, Wells est aussi un polémiste, croyant au progrès par la science. Ces tendances se reflètent tout au long d'une oeuvre qui compte près de 50 romans, contes, nouvelles et essais. H. G. Wells est mort à Londres le 13 Aout 1946.

II LE DÉPART DE M. HOOPDRIVER


Ceux-là seuls qui peinent six longs jours sur sept et toute l'année durant, sauf une brève mais glorieuse série de dix ou quinze jours d'été, ceux-là seuls connaissent les délicieuses sensations du premier matin de congé. Toute la morne et fastidieuse routine s'éloigne de vous brusquement, vous voyez vos entraves tomber à vos pieds. D'un seul coup, vous voici maître absolu de vous-même, maître de chacune des heures d'une libre journée ; vous pouvez aller où il vous plaît, n'appeler personne « monsieur » ou « madame », avoir un revers vierge d'épingles, dédaigner votre jaquette noire pour vous vêtir de vos couleurs préférées ; vous pouvez devenir un homme. Même au sommeil, même au manger et au boire, vous reprochez de vous prendre une part de moments exquis, vous songez que vous n'allez plus avoir à vous lever longtemps avant votre déjeuner, à épousseter et à ranger un lugubre magasin aux stores baissés. Plus d'impérieux rappels à l'ordre, plus de repas précipités, plus de politesse forcée envers de capricieuses vieilles femmes : plus rien de tout cela pendant dix bienheureuses journées. Ce premier matin est d'ailleurs, à beaucoup près, le plus enivrant, car on a encore l'impression de tenir toute sa fortune dans sa main. Chaque soir qui suit, descend sur l'âme une angoisse, un fantôme que rien ne saurait exorciser : le pressentiment du retour. Sans cesse plus noire se projette, devant la lumière du soleil, l'ombre de la rentrée au magasin, de la nécessité de se remettre en cage pour douze autres mois. Mais, le premier des dix matins, les vacances n'ont pas encore de passé derrière elles, et leurs dix jours semblent une éternité de plaisir.

Sans compter que le premier matin du congé de M. Hoopdriver se trouva être un matin radieux, plein de la promesse de jours magnifiques, avec un ciel d'un bleu profond qu'ornaient seulement, par endroits, de légers flocons de nuages blancs. Il y avait des merles sur la route de Richmond, et une alouette dans le parc de Putney. Tout l'air était rafraîchi de rosée ; et la rosée (à moins que ce ne fussent les restes d'une ondée nocturne) étincelait gaiement sur les feuilles et sur l'herbe. Hoopdriver, grâce à la complaisance de la cuisinière de la maison Antrobus, avait déjeuné de très bonne heure. Il conduisait sa machine à la main dans la montée de Putney Hill, et son cœur chantait en lui. À mi-côté, un chat noir, d'apparence vagabonde, traversa la route, et disparut sous une porte cochère. Toutes les grandes maisons de briques rouges, derrière les arbustes multicolores de leurs jardinets, gardaient encore leurs volets clos ; et notre héros n'aurait pas échangé son sort contre celui d'un seul de leurs habitants, même pour cent livres sterling.

Il avait revêtu son nouveau « complet » de cycliste, un élégant Norfolk brun de 30 shillings, et ses jambes, ces deux martyres, se trouvaient amplement consolées de toutes leurs souffrances par une paire de bas orange historiés d'ornements, des bas « légers aux pieds, épais aux mollets ». Un petit sac de toile imperméable, derrière la selle, contenait ses effets de rechange ; le timbre, le guidon et la lampe de sa machine, encore qu'un peu bosselés par l'usage, brillaient à plaisir sous les rayons du soleil levant. Au haut de la colline, après une seule tentative malheureuse qui, Dieu sait comment, s'était terminée sur le gazon du bas-côté, Hoopdriver monta sur sa bicyclette : après quoi, avec une digne et prudente modération dans l'allure, il commença sa grande tournée cycliste le long de la Côte Sud. Il n'y a qu'une image possible pour décrire sa course à ces premiers instants : des courbes voluptueuses. Il n'allait pas vite, il n'allait pas droit, et un critique exigeant pourrait soutenir qu'il n'allait pas bien : mais il allait généreusement, opulemment, utilisant toute la largeur de la route, sans craindre même d'envahir parfois l'un ou l'autre trottoir. Son enthousiasme ne faiblissait pas. Jusque-là, il n'avait encore rencontré ni piétons ni véhicules : à cette heure matinale, la route était déserte. Mais d'avance, se méfiant de lui-même, il se promett