: Jean Y.S. Toguyeni
: Itinérance d'un Sahélien déraciné Autobiographie orientée
: Books on Demand
: 9782322493005
: 1
: CHF 7.60
:
: Romanhafte Biographien
: French
: 308
: Wasserzeichen
: PC/MAC/eReader/Tablet
: ePUB
L'auteur décrit son parcours de vie, depuis son pays natal en Afrique de l'Ouest, jusqu'à son installation définitive en France, son pays d'accueil : la saga d'un immigré en col blanc

Jean Y.S. Toguyeni est Franco-Burkinabé, vivant en France. Il est né le 29 décembre à Niamey. L'auteur est marié, père de deux enfants. Il est Dr-Ingénieur des BTP à la retraite.

Chapitre 2 : La terre promise de France


  • La neige lyonnaise et les années « taupes »

  • Les études doctorales à Aix-Marseille

  • L’assimilation et la traversée du désert

La neige lyonnaise et les années « taupes »


Le 18 septembre 1978, j’avais mon passeport voltaïque pour aller en France. Deux mois auparavant, les candidatures de plusieurs étudiants de l’IMP, dont la mienne, avaient été acceptées par l’administration de l’ENTPE dans le cadre des actions de coopération française. Tout le mois d’août 1978 fut consacré à mes préparatifs de départ. On nous avait conseillé de nous équiper en vêtements très chauds pour l’hiver au pays des Gaulois. Je me souviens être parti au marché central de Ouaga, à la recherche de blousons, gants et bonnets pour le froid. Avec ma dernière bourse de vacances, je fis l’acquisition de ce qu’il fallait, dans des friperies de vêtements qu’on appellerait aujourd’hui « France au revoir68» ! L’un de ces vêtements était un joli manteau de fourrure synthétique, pour lequel je pensais avoir fait une bonne affaire.

Le 26 septembre 1978, je prenais pour la première fois l’avion à destination de Paris. Je ne puis citer tous les parents qui m’accompagnèrent à l’aéroport de Ouaga ce jour-là, tant j’étais sous le coup de l’émotion et de la fébrilité. Ils étaient nombreux. Parmi eux, mon oncle Simon, qui m’avait servi de tuteur toutes ces longues années dans la capitale. Il fut pour moi l’exemple de la solidarité entre « urbains » et « ruraux » d’une même famille ; facilitant l’insertion du migrant que j’étais, venant de la campagne. Aussi, au moment des adieux à l’aéroport, c’est son émotion sur le visage, qui m’a marqué.

Après 6 h de vol, enfin la « terre promise ». Le survol de Paris au petit matin était féerique. Le paysage n’avait rien à voir avec ma brousse natale. Les champs, les lotissements de maisons et les quartiers en lignes géométriques strictes. On était au pays du rationalisme, de Descartes ; au pays des siècles des Lumières ! L’aéroport Charles de Gaulle ressemblait à l’antichambre du paradis, avec ses escaliers mobiles et ses baies vitrées ; et tous ces visages roses comme sur les images d’anges que mon grand-père Yemboini me présentait, pour me convaincre qu’il y avait un paradis.

Mes collègues de l’IMP et moi fûmes accueillis par des membres de l’UGEV, nos ainés parisiens, qui en cette période de rentrée scolaire, organisaient dans chaque ville universitaire française, l’accueil des nouveaux étudiants voltaïques. Nous fûmes conduits à la Maison des étudiants des États d’Afrique de l’Ouest, 69 boulevard Poniatowski dans le 12e arrondissement de Paris.

En rentrant dans cet immeuble des étudiants d’Afrique, j’eus mon deuxième choc de la journée. On était accueilli par une odeur forte de moisi. Les escaliers n’avaient plus rien à voir avec ceux de l’aéroport. C’était sombre, et très animé. Il y avait les flux incessants des étudiants noirs, qui montaient ou descendaient, les discussions et interpellations à haute voix, les rires sans retenue ; on était à Ouaga ! On nous conduisit dans des pièces étroites déjà bien encombrées pour y déposer nos valises et bagages. C’est là que nous avons déjeuné, avec le riz et des sauces africaines préparées par les étudiants en charge de la cuisine. Malgré le brouhaha, on voyait bien que tout était organisé, avec chacun son rôle. Une salle était pleine d’étudiants en discussions très animées. On pouvait comprendre qu’ils analysaient les situations politiques africaines, sous le prisme de la dialectique marxiste. Pour ce jour d’accueil, on nous épargna toute implication dans les discussions. Les collègues étudiants voulaient simplement savoir comment allaient nos parents, les résultats de la saison des récoltes, etc. C’était la fraternisation à l’africaine. Quant à midi, on nous servit à manger, je trouvais les morceaux de poulets et de viande bien plus copieux (en volume) que ceux servis dans l’avion Air France, et encore plus que ce que l’on pouvait avoir dans les maquis de Ouaga. Au dessert, il y avait les fruits tant convoités en Afrique que sont les pommes, les poires et les raisins. Je goûtais aux prémices du temple de la consommation. C’était vraiment la « terre promise » ici ; avec du lait et du miel qui coulent à flots. Je me suis dit qu’il fallait tout de même faire attention à ma ligne. Je comprenais aussi pourquoi certains étudiants passaient quatre à six ans sans revenir au pays ; sans soucis de revoir les parents ! En partant, on m’avait dit que j’aurais certainement la chance de revoir mon cousin Aboubacar Toguyéni dit « NAS ». Grand révolutionnaire étudiant, grand animateur des débats au sein de la FEANF et de l’UGEV ; un étudiant qui commençait à oublier qu’il était en France pour étudier. Mais il n’était pas à Paris quand nous sommes arrivés ce 27 septembre 1978.

Les jours suivants, les ainés nous aidèrent dans l’établissement de nos papiers d’inscription à l’Ambassade de Haute-Volta, puis nous prîmes le train direction Lyon et Vaulx-en-Velin.

***

L’École Nationale des Travaux Publics de l’État (ENTPE) est une grande école de génie civil qui forme des Ingénieurs pour le Ministère de l’Équipement français.

ENTPE à Vaulx-en-Velin.

Les Ingénieurs qui en sortent sont des fonctionnaires de l’État, qui sont affectés essentiellement dans les Directions Départementales de l’Équipement (DDE), les Voies navigables, les bases aériennes, les ports. L’ENTPE initialement basée à Paris fut transférée à Vaulx-en-Velin69qui est une des banlieues de Lyon. En 1978, les bâtiments qui abritaient l’école étaient flambants neufs. Ils étaient implantés dans l’environnement immédiat de tours HLM, elles aussi neuves ; comme une sorte de tentative d’intégration des élites de la nation, dans la vie quotidienne de populations à revenus modestes.

Comme à Paris, mes collègues de l’IMP et moi avions été accueillis à Lyon par des étudiants de l’UGEV, qui nous ont conduits à Vaulx-en-Velin auprès de l’administration de l’École. Nous fûmes accueillis par M. Michel Prunier, Ingénieur X-Ponts et Chaussées, directeur de l’école70, ainsi que sa secrétaire Madame Mignot, qui était aussi « sa femme » ; une dame d’une grande gentillesse. Après une visite de l’établissement, de ses classes et laboratoires, on nous attribua des chambres provisoires au sein de l’école, le temps pour nous de prendre possession des studios d’étudiant qui nous étaient réservés au sein des bâtiments de HLM alentour. En effet, l’administration de l’école avait passé une convention pour réserver des appartements pour tous ses élèves71, dans ces immeubles d’habitation à loyers modérés. À l’accueil de l’école, j’avais remarqué des sourires appuyés à mon égard, de la plupart des personnalités que nous rencontrions. J’avais mon manteau de fourrure acheté à la friperie du marché de Ouaga, car il faisait déjà très froid. Je fus intrigué et me demandais si les blancs étaient aussi joviaux que les Africains en réalité. Les ainés voltaïques qui me virent plus tard dans mon joli manteau de fourrure m’indiquèrent que c’était un manteau de femme. Quel sacrilège ! Je compris la raison des sourires insistants de l’accueil. La seconde « bourde » de notre accueil à l’école fut faite lorsque le Directeur échangeant avec nous dans son bureau nous demanda comment se passait ce début de séjour. L’un de nous répondit qu’on nous avait attribué des chambres dans la « maison de passe72» de l’école. M. Prunier eut un sourire très amusé, mais ne nous en dit pas la raison. Je compris plus tard qu’une « maison de passe » était un bordel !

Nous étions tous attributaires d’une bourse de la coopération française en venant à Lyon. Bien plus conséquente que les petites bourses de nos compatriotes voltaïques étudiant dans les Universités classiques. C’était d’autant plus nécessaire que les...