: Yvonne Beckert
: D'amour et de souffrance Avec mon fils tétraplégique
: Books on Demand
: 9782322446636
: 1
: CHF 3.60
:
: Romanhafte Biographien
: French
: 96
: Wasserzeichen
: PC/MAC/eReader/Tablet
: ePUB
Patrick, le fils d'Yvonne Beckert, a dix-huit ans en cet été 2003. Il est en pleine santé et respire la joie de vivre. Mais le 20 juillet, il est victime d'un terrible accident. Sauvé in extremis par les médecins, il se réveille le lendemain à l'hôpital paralysé jusqu'aux joues. La sentence est cruelle : à moins d'un miracle, il ne retrouvera pas l'usage de ses membres. Situation tragique pour le jeune homme, et pour ses proches, bouleversés de voir leur fils, leur frère chéri perclus de douleurs, au destin subitement arraché. Yvonne se perd dans ses ténèbres intérieures, elle perd la raison, au point de se tirer une balle dans le coeur. Pendant quatre ans, elle restera internée en hôpital psychiatrique, avant de renaître peu à peu à la vie, aidée par la lumière de Dieu et l'amour des siens. Depuis sa guérison, Yvonne Beckert veille jour et nuit sur son fils. Elle relate dans cet ouvrage leur vie depuis l'accident, leurs combats, l'amour qui les unit. Elle évoque aussi la foi qui la porte, et lui fait espérer qu'un jour, les avancées de la médecine permettront à Patrick de retrouver un peu d'autonomie.

Yvonne Beckert a eu quatre enfants. Elle a mené une vie de mère et d'épouse tranquille jusqu'au jour où son plus jeune fils est devenu tétraplégique à la suite d'un accident.

I


L’accident


C’était le 20 juillet 2003. Ce jour maudit, nous étions en vacances à Genève, en famille. Il faisait très chaud, c’était une année caniculaire. Mon fils, le petit dernier, avait décidé avec son frère, sa sœur et leurs conjoints, d’aller prendre le frais au lac Léman. Il avait dix-huit ans. Je l’ai regardé tandis qu’il se dirigeait vers la voiture. Il s’est retourné vers moi… Avec ses grands yeux bleus et son air rieur, comme il était beau ! J’avais le sourire rien qu’à le regarder. Ce jour-là – pourquoi ? je ne sais pas – je l’ai regardé plus longuement encore que d’habitude. Il avait passé un short jaune et un tee-shirt rouge.

Plus tard dans la journée, ma fille et mon gendre sont revenus à la maison, seuls, ils sont entrés en trombe, affolés, ils pleuraient et criaient :

« Viens vite, ma mère ! Le petit frère a plongé ! Ils l’ont emmené à l’hôpital, c’est grave ! »

J’ai crié à mon mari :

« Il est arrivé un accident à notre fils, il faut y aller ! »

Nous avons pris la route. Je ne l’ai dit à personne, mais j’ai eu l’intuition que mon fils s’était brisé le cou, j’en étais même persuadée.

Ma fille et mon gendre nous ont raconté l’accident. Mon gendre avait été le premier à se jeter à l’eau. Il avait plongé en douceur dans le lac, qui n’était pas très profond. Puis mon fils était monté sur la passerelle pour se lancer à son tour. Ma fille a dit :

« Je le vois encore, courir en rigolant, en jetant ses petites sandales sur la passerelle, il jetait ses sandales et en même temps il riait, il courait… »

Ils l’ont regardé plonger. Mon fils a plongé à pic. Ils ont vu son corps basculer par-dessus sa tête. Puis, plus rien. Comme il ne remontait pas à la surface, son frère et mon gendre se sont précipités pour le tirer de l’eau, mais en le sortant de l’eau, ils se sont aperçus que son corps était tout raide, complètement paralysé. Ils l’ont allongé au bord du lac. Ils ont vu qu’il étouffait, il n’arrivait plus à respirer. Son frère lui a appuyé sur l’estomac en le suppliant :

« Mon frère, reviens ! Mon frère, reviens ! »

Des sauveteurs ont accouru, puis le SAMU est arrivé et mon fils a été transporté par hélicoptère à l’hôpital.

Quand nous sommes arrivés à l’hôpital, deux docteurs et des infirmiers nous attendaient. Une infirmière m’a pris la main. J’ai alors été saisie de panique, je me suis dit que mon fils était mort. Ils nous ont conduits dans une petite pièce et nous ont invités à nous asseoir autour d’une table, sur laquelle étaient posés des verres et de l’eau. J’entends encore les deux médecins, j’entends les horreurs qu’ils ont débitées, j’ai cru que j’avais deux diables en face de moi.

« Votre fils ne bougera jamais plus. Il ne parlera plus. »

Ils ont dit des choses horribles, définitives. Quand il a entendu ces horreurs, mon fils aîné a couru vers le lavabo pour s’asperger le visage, il était devenu blanc comme la mort. Sa sœur s’est roulée par terre en hurlant :

« Au secours ! »

Elle a lancé des cris épouvantables. Moi, je n’ai rien pu dire, je ne pouvais pas parler, je suis restée figée. J’aurais voulu que les médecins se taisent enfin, mais ils poursuivaient. Ils disaient que Patrick passerait toute sa vie sous respirateur artificiel.

« On ne sait pas s’il va pouvoir remanger. »

Et ils répétaient :

« Il ne bougera jamais plus, il ne parlera plus. »

Au milieu de toutes ces paroles insensées, j’ai cru à une lueur d’espoir… Je les ai entendu dire qu’ils pouvaient agir :

« On ne sait pas si on va pouvoir faire quelque chose mais nous avons quatre heures pour essayer de le sauver. Si on ne l’opère pas dans les quatre heures, après ce sera trop tard, ce sera fini. »

Alors mon fils pouvait être sauvé ? Il serait opéré et il irait mieux ? J’ai crié :

« Opérez-le vite, alors ! Opérez-le ! »

Ils nous ont proposé d’aller le voir avant de l’emmener au bloc.

Les docteurs en avaient tellement dit que nous avions très peur d’aller le voir dans sa chambre. J’ai été la seule à oser me lever. Je me suis déplacée dans un état second. Dans le couloir, j’ai eu une impression étrange. J’avais la sensation d’avoir perdu mon fils dans les minutes qui avaient précédé, puis c’est comme s’il était réapparu et qu’enfin j’allais le retrouver. Au fond du couloir, j’ai vu une porte ouverte, sur la gauche. Je suis entrée dans la chambre et j’ai couru au chevet de mon fils. Il était enveloppé dans une couverture de survie. Il ne bougeait pas. Il a voulu me parler, j’ai approché mon visage du sien, et je l’ai entendu me dire, dans un souffle :

« Je suis foutu. »

Il m’avait parlé d’une voix très faible, sans pouvoir articuler.

J’ai tenté de le rassurer :

« Non mon fils ! Ne dis pas ça ! Ils vont t’opérer ! »

Nous voulions patienter à l’hôpital pendant l’opération, mais le docteur nous a dit de rentrer chez nous car l’intervention durerait huit ou neuf heures.

De retour à la maison, j’ai été prise de maux de ventre insoutenables. Ce n’étaient pas des maux d’estomac, c’était comme des douleurs de contraction. Je me tordais de douleur, j’avais l’impression d’accoucher une deuxième fois de mon enfant.

L’opération avait débuté à 18 heures, et elle s’est terminée le lendemain, le 21 juillet, à 2 heures du matin. Peu après, l’hôpital nous a appelés :

« L’opération s’est bien passée. Si vous voulez, vous pouvez venir voir votre fils. »

Nous étions tous tétanisés. Dans quel état allait-on le retrouver ? J’ai demandé à mon gendre de me conduire à l’hôpital, personne d’autre n’a eu le courage de venir. À l’accueil, on m’a signalé que mon fils était en soins intensifs, en chambre 7.

J’ai ouvert la porte de sa chambre et me suis approchée de son lit. Mon Dieu ! Il était sous respirateur artificiel, immobile, complètement inerte. Il m’a murmuré :

« Ma mère, je souffre, je souffre… »

Je lui ai dit, tout doucement, en me penchant vers lui :

« Non mon fils, ne dis pas ça. Tu verras, ça ira mieux dans quelques jours. »

Mon fils était paralysé jusqu’aux joues. Il ne pouvait plus rien bouger, ni ses jambes, ni ses bras, ni ses pieds, ni ses doigts, ni sa tête, rien. Il gisait devant moi emmuré dans un corps de pierre et je ne pouvais rien faire.

Je me suis effondrée. Je suis restée assise par terre, j’ai croisé les mains, et je me suis sentie comme aspirée. Ma vie s’est arrêtée là, net.

Ce jour-là, j’ai compris que mon fils était mort et j’étais morte avec lui.

Comme une automate, je suis allée retrouver mon gendre :

« Ce n’est pas possible. Ce n’est pas possible. Ramène-moi vite chez nous. »

De retour à la maison, j’ai demandé à ma fille qu’elle me conduise à la chapelle près de la maison. Je suis tombée à genoux devant la Vierge Marie, je l’ai implorée :

« Marie d’amour, je t’en supplie ma bonne Vierge, je t’en supplie, ne laisse pas mon fils comme ça. Je te le donne. Tu seras meilleure mère que moi, parce que moi, je ne peux rien faire pour lui. Prends-le vite auprès de toi, il sera bien, ma Vierge Marie d’amour, prends-le, mon fils. Prends-le. »

J’ai laissé une photo de mon fils dans la chapelle, sur laquelle j’ai écrit : « Aidez-nous ».

Et...