Attachée sur la table, je ne peux que regarder la gardienne Egara pianoter sur sa tablette d’un air concentré. Je me débats pour me libérer, même si c’est parfaitement inutile. La boîte de réception n’arrête pas de sonner à chaque nouveau message, elle fronce encore plus les sourcils, ses doigts se déplacent à tout allure en mouvements brefs, comme si elle voulait frapper celui avec lequel elle parle à l’autre bout de l’espace.
J’ai appris la patience à la dure durant mes années en tant que soldat, et plus tard, en tant que journaliste d’investigation. Je peux traquer ma proie pendant plusieurs jours sans jamais m’en lasser. Je sais quand il faut attendre et lorsqu’il faut tirer. Dans ce cas de figure en particulier, mon agressivité ne m’apportera rien, même si ma frustration est si grande que je pourrais arracher les liens du fauteuil comme l’Incroyable Hulk.
« Gardienne, je vous en prie, dites-moi ce qui se passe. »
Oui, ça sonne bien. Vive moi.
La gardienne se mord la lèvre inférieure, elle ressemble soudainement à la femme d’une vingtaine d’années qu’elle est au naturel. Ses épaules sont voûtées, comme si elle portait un poids et une lourde responsabilité. C’est peut-être le cas. Il lui incombe de faire en sorte que toutes les femmes—peu importe la raison—soient accouplées de façon satisfaisante et arrivent saines et sauves à destination, quelque part dans l’univers. Elle lève enfin les yeux, je sais immédiatement en voyant son regard sombre que les nouvelles ne sont pas bonnes, du moins celles me concernant.
Une terreur sourde m’envahit.
« Ils vous ont expressément rejetée, contrairement à toutes les autres volontaires en provenance de la Terre. » Elle soupire, j’ai l’impression qu’on vient de m’annoncer que je suis la fille la plus moche de toute la classe. Ouais, la sensation est toujours aussi cuisante. J’ai déjà ressenti ça, plusieurs fois, quand c’estmoi qui ait été rejetée. Par des amis, des amants, le boulot, la famille. Je devrais y être habituée mais ce n’est pourtant pas le cas. L’espoir rend stupide. Je ne m’étais pas rendue compte à quel point j’avais envie de rencontrer quelqu’un, quelqu’un qui serait là pour moi, jusqu’à ce qu’on m’envoie balader. Comme d’habitude.
« Un autre transfert est en approche depuis notre Centre de Recrutement des Epouses situé en Asie, le problème n’est donc pas inhérent au système. Pour une raison que j’ignore, vous n’avez pas pu embarquer. Le Prime a envoyé le messageen personne. »
Le Prime ? Putain c’est quoi un ‘prime’ ?
« Vous voulez dire mon partenaire ? »
Elle secoue la tête d’un air absent. « Non.Le Prime. Le souverain de leur planète. Le souverain de Prillon Prime. »
Elle a énoncé son titre avant même le nom de sa planète, il m’a personnellement rejetée. Génial.
« Un peu comme un roi ? » Merde alors. Leur souverain refuse que je prenne un partenaire ? Je n’ai jamais rencontré le guerrier avec lequel j’ai été accouplée, il était censé m’appartenir et me voilà interdite de séjour, envolée la petite lueur d’espoir. Merde. Monespoir s’amenuise et s’évanouit. Ça fait mal.
« Oui. Il règne sur plusieurs planètes, il commande toute la flotte interstellaire, » grommelle-t-elle en détournant les yeux, incapable de soutenir mon regard.
J’ai un mouvement de recul involontaire, ses paroles me donnent la nausée. J’ai été rejetée par le roi extraterrestre de la planète entière ? Je suis si nulle que ça ? Je suis autoritaire et un peu chiante