II
Le lendemain, Thérèse reçut de Laurent la lettre suivante :
« Ma bonne et chère amie, comment vous ai-je quittée hier ? Si je vous ai dit quelque énormité, oubliez-la, je n’en ai pas eu conscience. J’ai eu un éblouissement qui ne s’est pas dissipé dehors ; car je me suis trouvé à ma porte, en voiture, sans pouvoir me rappeler comment j’y étais monté.
« Cela m’arrive bien souvent, mon amie, que ma bouche dise une parole quand mon cerveau en dit une autre. Plaignez-moi, et pardonnez-moi. Je suis malade, et vous aviez raison, la vie que je mène est détestable.
« De quel droit vous ferais-je des questions ? Rendez-moi cette justice que, depuis trois mois que vous me recevez intimement, c’est la première que je vous adresse : Que m’importe que vous soyez fiancée, mariée ou veuve ?…
Vous voulez que personne ne le sache ; ai-je cherché à le savoir ? Vous ai-je demandé ?… Ah ! tenez, Thérèse, il y a encore ce matin du désordre dans ma tête, et pourtant je sens que je mens, et je ne veux pas mentir avec vous. J’ai eu vendredi soir mon premier accès de curiosité à votre égard, celui d’hier était déjà le second ; mais ce sera le dernier, je vous jure, et, pour qu’il n’en soit plus jamais question, je veux me confesser de tout. J’ai donc été l’autre jour à votre porte, c’est-à-dire à la grille de votre jardin. J’ai regardé, je n’ai rien vu ; j’ai écouté, j’ai entendu ! Eh bien, que vous importe ? je ne sais pas son nom, je n’ai pas vu sa figure ; mais je sais que vous êtes ma sœur, ma confidente, ma consolation, mon soutien. Je sais qu’hier je pleurais à vos pieds, et que vous avez essuyé mes yeux avec votre mouchoir, en disant : « Que faire, que faire, mon pauvre enfant ? »
Je sais que, sage, laborieuse, tranquille, respectée, puisque vous êtes libre, aimée, puisque vous êtes heureuse, vous trouvez le temps et la charité de me plaindre, de savoir que j’existe, et de vouloir me faire mieux exister. Bonne Thérèse, qui ne vous bénirait serait un ingrat, et, tout misérable que je suis, je ne connais pas l’ingratitude. Quand voulez-vous me recevoir, Thérèse ? Il me semble que je vous ai offensée. Il ne me manquerait plus que cela ? Irai-je ce soir chez vous ? Si vous dites non, oh ! ma foi, j’irai au diable ! ».
Laurent reçut, par le retour de son domestique, la réponse de Thérèse.
Elle était courte : Venez ce soir. Laurent n’était ni roué ni fat, bien qu’il méditât ou fût tenté souvent d’être l’un et l’autre. C’était, on l’a vu, un être plein de contrastes, et que nous décrivons sans l’expliquer, ce ne serait pas possible ; certains caractères échappent à l’analyse logique.
La réponse de Thérèse le fit trembler comme un enfant. Jamais elle ne lui avait écrit sur ce ton. Était-ce son congé motivé qu’elle lui ordonnait de venir chercher ? était-ce à un rendez-vous d’amour qu’elle l’appelait ? Ces trois mots secs ou brûlants avaient-ils été dictés par l’indignation ou par le délire ?
M. Palmer arriva, et Laurent dut, tout agité et tout préoccupé, commencer son portrait. Il s’était promis de l’interroger avec une habileté consommée, et de lui arracher tous les secrets de Thérèse. Il ne trouva pas un mot pour entrer en matière, et, comme l’Américain posait en conscience, immobile et muet