: Sylviane Serruya
: Moïse de Tétouan, Sa Mémoire en Héritage 1492-1962 De Mégorachim à Dhimmis puis à Citoyens Français
: Books on Demand
: 9782322196067
: 1
: CHF 7.20
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: Allgemeines, Lexika
: French
: 384
: Wasserzeichen
: PC/MAC/eReader/Tablet
: ePUB
L'auteur exhume la biographie d'un arrière-grand-père à partir de documents d'archives et d'articles de journaux. Les recherches font émerger la figure de Moïse au parcours à la fois banale et extraordinaire, mais représentatif de l'histoire des Juifs d'Espagne, du Maroc et d'Algérie. Le mouvement pendulaire entre les deux récits fait comprendre le long et douloureux chemin des"mégorachim", ces expulsés d'Espagne en 1492, devenus"dhimmis" au Maroc puis citoyens français en Algérie. La mise à jour de l'histoire de Moïse permet de rappeler les circonstances de la colonisation de l'Algérie, la mise au pas des Musulmans, l'émancipation des Juifs et le développement de l'antisémitisme chez les colons français et ceux issus de l'émigration latine. Elle permet de remémorer le formidable essor économique, démographique, urbain de la colonie. Ce livre est un hommage à cet ancêtre exemplaire. Il est dédié à tous ceux dont les aïeux traversèrent courageusement les embûches de l'histoire ainsi qu'aux heureux curieux.

Sylviane Serruya est née à Oran, Algérie. Enfant, elle vit l'exil des"pieds-noirs". Elle étudie à l'Institut Hispanique à Paris avant de devenir professeur certifié d'espagnol à l'Education Nationale. Mariée et mère de quatre enfants, elle est passionnée d'histoire et de généalogie. Elle s'intéresse à l'histoire de ses ancêtres dont elle retrouve les traces et le parcours.

PREFACE


En souvenir de mon père,

Jacques, Jacob Serruya, 1920-1999.

A l’aube de ce XXIème siècle, de passionnantes et patientes recherches généalogiques et historiques, répondant à une quête personnelle du passé familial, ont conduit, à faire définitivement émerger, parfois de façon fortuite, du profond puits de l’oubli la mémoire enfouie, les noms et l’histoire méconnue d’émouvantes figures ancestrales. Ces aïeux traversèrent bien souvent au péril de leur vie les turbulences des siècles passés. Malgré les menaces pesant sur leurs personnes, ils surent préserver l’héritage qu’ils reçurent et le transmettre. Ils interpellent ainsi la conscience des descendants et réveillent la lucidité des vivants.

Les mécanismes, dynamiques ou lents, de la machine à remonter le temps et briser les espaces qui ont aidé à cette quête ont montré que les racines anciennes de l’histoire familiale ne se trouvaient pas à Oran, lieu de naissance de mon grand-père ou de mon père, ni dans la ville marocaine de Tétouan, où naquirent mes bisaïeuls, mais en Espagne d’où furent expulsés leurs ancêtres en 1492. Ils ont dévoilé des aïeux au parcours exemplaire, leur façon de vivre ou de survivre, les causes de leurs pérégrinations et les motifs de leur installation au Maroc et en Algérie. Ils ont aussi aidé à saisir les raisons de leur naturalisation française dans une période de l’Algérie coloniale que troublait la haine antijuive. Ces éclaircissements expliquent la destinée actuelle de nombre de descendants répartis aujourd’hui dans divers pays du monde.

L’histoire, parfois surprenante de ces anciens, portée à la connaissance de tous, et en particulier de mes chers Samuel, Judith, Liora, Sacha, Lea, Charlotte, Ruben, Solal, Jérémy, Noa, Abraham, laisse apparaître des épisodes inconnus renseignant fortement sur ce parcours familial. En le donnant à connaître, il s’agit de rappeler la mémoire de ces ancêtres et de leur rendre le juste et tendre hommage d’une descendante reconnaissante.

Mon témoignage de gratitude est destiné bien sûr à ces aïeux que je n’ai pas tous connus. Sans eux et leurs choix de vie, leur intelligence et leur courage, leur détermination et leur confiance en l’avenir, leurs prises de risques et leur foi dans leur identité millénaire, leur travail assidu et leur engagement en faveur du progrès, leurs souffrances endurées et leur résilience salvatrice, je n’aurais pas existé et je ne serais pas qui je suis. Ma reconnaissance s’adresse en premier lieu, à mon père, Jacob, dont la bonté et la bienveillance ont toujours guidé mon éducation, mes pensées et mes actes. Je veux lui affirmer tout mon amour filial car cette quête du passé et ces investigations ne relèvent pas tant de l’obligation ni du devoir de mémoire que de l’immense affection que je lui conserve toujours malgré son absence. Les recherches sur ce parcours resteront une manifestation de la richesse et de la profondeur des liens qui nous ont unis. Elles demeureront une marque de l’amour et de l’intérêt qu’il m’a continuellement manifestée, ainsi que la manifestation de l’affection et de la confiance, que je lui ai toujours portées.

Mon père Jacob, dit Jacques, Serruya, né le 10 avril 1920 à Oran, Algérie, semblait, jusqu’à ce funeste jour de sa disparition, le 20 mai 1999, à Angers, être le dépositaire infaillible et intemporel de cette mémoire familiale et de son patrimoine culturel et historique. Cette croyance me satisfaisait et j’y voyais une normalité ou une banalité. J’appréhendais en effet ce parcours comme une « histoire banale » avec l’indifférence insouciante de l’habitude, voire avec désintérêt et certainement avec un évident manque de curiosité de la chose familiale. Certes, jeune, je priorisais réussite scolaire ou universitaire, préoccupations personnelles ou sociales, situation professionnelle ou familiale qui laissaient alors peu de temps pour m’attarder sur un passé révolu ne paraissant pas entretenir de rapports avec un présent sans cesse orienté vers un futur que je tentais surtout de construire.

Mais, le brusque départ de mon père me permit de saisir qu’un des derniers et précieux témoins de la famille s’en allait la privant des inestimables récits qu’il aimait narrer et qui informaient sur les expériences ancestrales. Avec Jacob, disparaissait un solide panneau de cette mémoire que je pensais pourtant posséder. Pareil à un parfum doux-amer s’échappant de son flacon, cette mémoire, évanescente et insaisissable, s’évanouissait avant de disparaître, inexorablement à jamais. Elle laissait un vide inquiétant et une souffrance cruelle.

Je pris alors conscience qu’à mon tour je devenais un maillon essentiel, invisible et indispensable dans la chaîne familiale et historique, temporelle et intemporelle. J‘eus l’étrange sentiment que j’étais désormais le maillon du présent reliant le passé au futur. Je prenais en quelque sorte la place de mon père, son relais qui avait pour charge de maintenir et de transmettre l’histoire aux jeunes générations. L’idée que je devais rester accrochée à ce chaînon paternel germa en moi. L’obligation de relayer mon père disparu naquit peu à peu. Il me parut que je me rapprocherais davantage de lui, le retrouverais et renforcerais encore plus nos liens, invisibles mais réels, que le temps pouvait rendre faillibles. Ainsi, s’imposa la pressante évidence de relier le maillon du passé des anciens à celui du futur que formaient mes petits-enfants. Ceux-ci, parfois fruits de mélanges culturels, connaitraient la source de leur présent, pourraient mieux appréhender leur avenir et s’y projeter avec confiance. L’historien italien Antonio Gramsci n’a-t-il pas écrit : « celui qui ne sait d’où il vient ne peut savoir où il va » ?

En outre, la Bible et sa lecture, en particulier la partie concernant le roi David et sa famille, m’avaient interpelée. J’étais à la fois impressionnée et orgueilleuse d’y lire le nom que je portais. Le Livre des livres offrait en effet une origine royale à mon patronyme, puisqu’Il enseignait que la soeur du roi David se prénommait Serrouya1 et que ses fils étaient de valeureux généraux du roi à la harpe. La noblesse de ma filiation, réelle ou supposée, m’avait émerveillée et engendré un sentiment de fierté et de gloire, la « gloire de mes aïeux », ainsi qu’eût pu le dire M. Pagnol. Ce double sentiment me rattachant à cet illustre passé biblique expliquait peut-être aussi ma fidélité et mon dévouement profond à mon père. Mon attachement à l’ensemble du peuple d’Israël puisait certainement aussi sa force dans ces sentiments. Il me sembla ainsi essentiel que mes petits-enfants connussent, non mes délicieux et orgueilleux sentiments, mais du moins l’existence de ce lignage royal.

Par ailleurs, à l’automne de ma vie, alors que j’avançais en âge, l’urgence de faire, tel un consciencieux et méticuleux comptable, le bilan de ce que je fus ou fis, me commanda de ne retenir que l’« essence », l’identité et les vues qui me constituaient et de rejeter le superflu de pensées inutiles et autres actes dérisoires. Il me parut encore important que mes petits-enfants sussent qui était leur aïeule, pour comprendre qui eux-mêmes étaient. La recherche et la compréhension de la mémoire familiale s’imposèrent donc comme une nécessité plus sage qu’un héritage matériel laissé à mes descendants. La connaissance de leurs origines devait les conduire à demeurer dans cette chaîne historique.

L’ensemble de ces raisons convergentes me portèrent donc à retrouver les traces de mes aïeux et reconstruire leur histoire. Le devoir de mémoire et le témoignage d’affection pour ceux à qui je devais la vie et le présent, m’obligèrent ainsi à devenir curieuse de leur passé que je fouillai. Regrettant l’oreille inattentive que j’avais parfois prêtée aux récits de mon père, je pénétrai dans les arcanes de la généalogie, la vie privée et l’intimité de mes ancêtres cherchant à comprendre les ressorts de leur...