James Mac Allermy, fondateur et directeur deAllô-Police, le plus grand journal de criminologie des États-Unis, venait d’entrer, en fin d’après-midi, dans la salle de rédaction. Entouré par quelques-uns de ses collaborateurs, il leur disait son opinion – encore bien incertaine d’ailleurs – relative à l’abominable crime commis, la veille, sur trois jeunes enfants, et que l’opinion publique, révoltée par ses circonstances particulières, avait aussitôt baptisé le « massacre des trois jumeaux ».
Après quelques minutes de considérations sur la criminalité vis-à-vis de l’enfance en général, et sur le forfait de la veille en particulier, James Mac Allermy se tourna vers Patricia Johnston, sa secrétaire, qui, mêlée aux rédacteurs, l’écoutait :
– Patricia, c’est l’heure du courrier. Toutes les lettres sont-elles prêtes pour la signature ? Passons dans mon bureau, voulez-vous ?
– Tout est prêt, monsieur… Mais…
Patricia s’interrompit. Prêtant l’oreille à un bruit insolite, elle acheva :
–… il y a quelqu’un dans votre bureau, monsieur Mac Allermy !
Le directeur eut un haussement d’épaules.
– Quelqu’un dans mon bureau ? C’est impossible ! La porte sur l’antichambre est fermée au verrou.
– Mais votre entrée particulière, monsieur ?
Allermy sourit en tirant une clef de sa poche.
– La clef ne me quitte pas, la voici. Vous rêvez, Patricia… Voyons, allons travailler… vous m’excusez, Fildes, je vous fais attendre !
Il avait mis la main familièrement sur l’épaule d’un de ses assistants, non pas un de ses rédacteurs mais un de ses amis personnels, Fildes, qui venait presque chaque jour lui rendre visite au journal.
– Prenez votre temps, James Allermy, dit Frédéric Fildes, homme de loi et attorney. Je ne suis pas pressé et je sais ce que c’est que l’heure du courrier.
– Allons-y, dit Mac Allermy. Au revoir, messieurs, à demain, tâchez de vous documenter sur le crime.
D’un signe de tête, il prit congé de ses collaborateurs et, suivi de sa secrétaire et de Frédéric Fildes, il sortit de la salle de rédaction et, traversant un couloir, ouvrit la porte de son bureau directorial.
La vaste pièce, élégamment meublée, était vide.
– Vous voyez, Patricia. Il n’y a personne ici.
– Oui, répondit la secrétaire, mais constatez, monsieur, que cette porte, tout à l’heure fermée, est ouverte à présent.
Elle désignait une porte qui, du bureau, donnait dans une pièce plus petite où se trouvait le coffre-fort.
– Patricia, depuis ce coffre-fort jusqu’à la sortie dérobée qui ouvre sur la rue et par où je passe quelquefois, il y a deux cents mètres de couloirs et d’escaliers, coupés de treize portes et de cinq grilles toutes verrouillées et cadenassées. Personne n’a pu utiliser cette issue.
Patricia réfléchissait, ses fins sourcils légèrement froncés. C’était une grande jeune femme élancée, d’allure harmonieuse et souple, indiquant la pratique des sports. Son visage, un peu irrégulier, un peu court peut-être, n’était pas d’une beauté classique mais, avec un teint sans fard, d’une pureté mate et comme transparente, avec sa bouche grande, bien dessinée, aux lèvres naturellement rouges, entrouvertes sur des dents éclatantes, avec son front large et intelligent sous les ondes de la chevelure où l’or et le bronze se mêlaient, avec ses yeux surtout, longs, gris vert, entre d’épais cils sombres, un incomparable charme en émanait : un charme profond et presque mystérieux quand Patricia était grave, mais qui devenait léger et en quelque sorte enfantin quand elle se laissait aller à un accès de franche gaieté. Et tout en elle respirait la santé, l’équilibre physique et moral, l’énergie, le goût de vivre. Elle était de ces femmes qui ne mentent pas et ne déçoivent pas, qui créent la sympathie et la confiance, qui suscitent l’amitié et l’amour.
Par une habitude qu’elle avait prise peu à peu auprès de Mac Allermy et qui était devenue un réflexe, elle jeta un coup d’œil circulaire autour de la pièce pour s’assurer que rien n’y avait été dérangé depuis qu’elle y avait mis de l’ordre.
Un détail la frappa.
Sur un bloc-notes, posé sur le bureau et qu’elle voyait en sens inverse, elle lisait deux mots écrits au crayon. L’un était un prénom : Paule, l’autre, qu’elle déchiffra moins aisément, un nom : Sinner. Donc, Paule Sinner. Il s’agissait d’une femme.
Pas un instant, Patricia, qui connaissait les mœurs sévères de Mac Allermy, n’admit qu’une femme pût être entrée dans l’existence de celui-ci et moins encore qu’il en inscrivît le nom ouvertement dans son bureau directorial.
Mais alors, que signifiait Paule Sinner ?
Mac Allermy, qui l’observait, sourit :
– À la bonne heure, Patricia, rien ne vous échappe. Mais l’explication est simple : c’est le titre d’un roman français qu’un traducteur m’a apporté aujourd’hui et qui me plaît assez. Paule Sinner est le nom de l’héroïne. En français le titre frappe davantage :Paule la Pécheresse.
Patricia eut l’impression que Mac Allermy ne donnait pas une explication exacte. Mais pouvait-elle en demander une autre ?
À ce moment, coupant ses réflexions, l’électricité s’éteignit soudain, les plongeant dans l’obscurité.
– Ne vous dérangez pas, monsieur, c’est un plomb qui a sauté. Je m’y connais. Je vais réparer ça, dit Patricia.
À tâtons, elle gagna l’antichambre qui précédait le bureau de Mac Allermy et qui s’ouvrait sur un palier au troisième étage de l’escalier privé de la direction. Des ampoules, restées allumées au rez-de-chaussée, mettaient dans l’ombre une lueur diffuse. Dans un étroit réduit servant de débarras, la jeune femme prit une légère échelle double à six marches et, la dépliant, la dressa contre le mur. Elle y monta, crut entendre, provenant de quelque part dans l’ombre un bruit léger et soudain une angoisse lui serra le cœur…
« Il » était là, elle n’en doutait pas, il était là, caché dans la demi-obscurité, prêt à l’attaque comme un fauv