: Emile Souvestre
: Les Derniers Bretons un essai d'ethnographie de la Bretagne
: Books on Demand
: 9782322466023
: 1
: CHF 8.70
:
: Erzählende Literatur
: French
: 452
: Wasserzeichen
: PC/MAC/eReader/Tablet
: ePUB
Enquê e journalistique, psychologique et ethnographique, cet ouvrage est l'une des plus importantes contributions à l'histoire de la Bretagne. Né à Morlaix en 1806, avant fait une partie de sa carrière et littéraire à Paris, Emile Souvestre en a assez d'entendre les lieux communs sur les Bretons. Il revient donc au pays natal pour mener son enquête sur les coutumes et légendes. Sa méthode se révèle parfaite : il entre dans les maisons, décrit la vie quotidienne autour du foyer, les rites du mariage ou de l'enterrement. Il ne sombre jamais dans la généralité, mais s'intéresse aux particularités de chaque pays : le Léonie, le Trégor, le Morbihan. Dans un style imagé, il nous invite à découvrir le monde secret de cette Bretagne plurielle, incarnée par des personnages plus pittoresques les uns que les autres. Les Derniers Bretons est sans doute le panorama le plus complet pour comprendre les origines et les traditions bretonnes. Emile Souvestre est mort en 1854.

Charles Émile Souvestre, né le 15 avril 1806 à Morlaix et mort le 5 juillet 1854 à Montmorency, est un avocat, journaliste et écrivain français.

CHAPITRE I


Le Pays de Léon


§ Ier. — Aspect de ses villes. — Destruction de ses monuments

La Bretagne dont nous parlerons ne comprend pas toute la province anciennement connue sous ce nom. Elle se bornera aux trois départements duFinistère, duMorbihan et desCôtes-du-Nord. C’est là seulement que la langue celtique et les vieux usages ont été conservés sans trop d’altération, et qu’une nature originale reste encore à étudier.

Cette Bretagne dont nous nous occuperons comprenait autrefois quatre évêchés : ceux de Saint-Pol-de-Léon, de Cornouaille, de Vannes et de Tréguier : c’étaient quatre pays différents, ayant leurs coutumes, leurs physionomies et leurs populations particulières.

Ces quatre aspects de la Bretagne proprement dite sont encore fort distincts et méritent d’être décrits chacun séparément. Ce sont comme des tableaux de différents maîtres, reproduisant les mêmes pensées sous des formes dissemblables.

Nous emploierons donc notre première partie à faire connaître successivementle pays de Léon, la Cornouaille, le pays de Tréguier, le pays de Vannes.

Du reste, nous l’avons déjà dit, bien que les descriptions que nous allons donner de ces quatre contrées soient le résultat de longues observations, elles pourront étonner ceux qui n’ont examiné le pays que superficiellement. Pour l’étranger qui traverse les grandes routes et descend aux hôtels de nos villes, la Bretagne n’a rien qui la distingue beaucoup d’une autre province. Des chemins mal tracés, des mendiants qui chantent au bord des routes, des villes boueuses, des marchés populeux, et parfois, au milieu de la foule, un carcan auquel est soudé un homme qui a honte et qui pleure ; rien de tout cela n’est bien neuf ; c’est comme ailleurs, c’est comme partout ! Dans son vaste mouvement deva-et-vient, la civilisation a fait trop de fois circuler ses agents sur les lignes qui traversent notre province en tous sens, pour n’avoir pas usé, par un long frottement, l’empreinte originaire des hommes et des lieux. Ce n’est qu’en s’écartant des routes fréquentées, en suivant, à pied, nos chemins creux, en traversant de pierre en pierre les cascades de nos ruisseaux sans pont ou les fondrières de nos marécages, que l’on peut arriver aux cantons isolés dans lesquels se retrouvent encore les traditions locales et les croyances du pays. Là aussi, et là seulement, le peintre rencontre la sauvage majesté d’une nature vierge de toute trace moderne, entremêlée de ruines druidiques, religieuses et féodales, qui s’y trouvent comme les pages éparses d’une histoire oubliée.

Le Léonais, qui comprend à peu d’exceptions près tout le territoire renfermé dans les arrondissements de Morlaix et de Brest, forme la plus riche partie du Finistère. C’est là que l’on trouve les campagnes à luxuriantes végétations ; les vallées mousseuses, festonnées de chèvrefeuilles, de ronces et de houblon sauvage ; mille nids de verdure d’où sort la fumée d’une chaumière, et toutes ces oasis de fleurs ou d’ombrages au milieu desquelles point l’aiguille brodée d’un clocher de granit ou la tête penchée d’un calvaire. Nulle autre partie de la Bretagne ne présente une variété aussi continuelle. Les aspects du Léonais, moins austères que ceux de la Cornouaille, moins arcadiens que ceux du pays de Tréguier et moins arides que les landes de Vannes, participent à la fois de ces trois natures. Ils en offrent comme un résumé poétique. Mais ce qui est surtout propre au Léonais, c’est l’éblouissante fraîcheur de ses campagnes, c’est l’espèce d’humide opulence de ses feuillées et de ses plages. Tout, dans cette contrée, exhale je ne sais quelle enchanteresse et paisible fertilité. Il semble que, couverte d’églises, de croix, de chapelles, elle soit fécondée par la présence de tant d’objets sacrés. On voit, rien qu’à la regarder, que c’est une terre bénite et qu’aiment les habitants du Paradis. Ses villes même conservent ce caractère de sainte et charmante aisance. C’est Morlaix, assis au fond de sa vallée, avec sa couronne de jardins et les paisibles caboteurs à voiles roses qui dorment sur son canal ; c’est Saint-Pol-de-Léon, qui se dessine de loin sous des clochers aériens, comme une grande cité du Moyen Âge ; ville-monastère où vous ne trouvez que des prêtres qui passent, des enfants en prière au seuil des églises, et de pauvresklöa- reks, aux longs cheveux, apprenant tout haut, sur les chemins, leurs leçons latines ; c’est Lesneven, triste bourgade, semée de couvents demiruinés ; Landerneau, charmant village allemand, avec ses maisonnettes blanches, ses parterres à grilles vertes et ses fabriques cachées dans les arbres ; Roscoff, enfin, vaillant petit port qui s’avance vers l’Angleterre comme pour la défier, relâche de corsaires et de flibustiers, qui fleurit sous la protection de sainte-Barbe. Je ne dis rien de Brest, car c’est une colonie maritime, qui n’a de breton que le nom. Brest n’est pas une ville de terre ferme, c’est un gaillard d’avant où vit un équipage ramassé de tous côtés, où s’agite dans la brume une population en toile cirée et en chapeau de cuir bouilli ; mais, à part cette exception, il n’est point un seul hameau dans le Léonais qui ne reflète plus ou moins le calme et pieux bien-être dont nous avons parlé. C’est là le cachet du pays. Tout y semble sous l’immédiate protection du ciel et marqué aux armoiries de Dieu. On ne peut croire, lorsqu’on ne l’a point parcouru, à l’innombrable quantité de ses monuments religieux. Un seul fait en donnera une idée. Pendant la restauration, on songea à relever les croix de carrefours qui avaient été abattues en 1793, et, après une recherche exacte, on trouva qu’il ne faudrait pas moins de 1 500 000 fr. pour rétablir toutes celles qui existaient à cette époque dans le Finistère ! Le Léonais comptait au moins pour les deux tiers dans cette somme.

On conçoit, d’après cela, combien cette contrée a dû souffrir, depuis trente ans, du vandalisme qui a fait porter le marteau sur nos vieux monuments. La Bretagne était restée longtemps à l’abri de cet esprit de destruction qui souffle comme un ouragan sur l’ancienne France. Vieille druidesse baptisée par saint Pol, elle avait gardé sesdolmens et sesmenhirs, près de ses mille chapelles à Marie. Le temps et les révolutions avaient en vain passé rudement la main sur sa tête et déchiré son antique pourpre, la fière pauvresse se drapait encore dans ses haillons de croyances et de coutumes, et s’entourait de ses ruines comme des débris d’une riche parure. Mais son tour est enfin venu, et, elle aussi, il faudra qu’elle passe à la refonte pour recevoir une empreinte nouvelle. En attendant, des mains barbares s’acharnent sur ses monuments et les dépècent ou les dégradent. Ainsi, sans parler dumonastère de Saint-Mathieu, défiguré par ce phare dont la tête a crevé la voûte du sanctuaire, et qui se montre maintenant au-dessus de l’abbaye, comme un laid et noir cyclope ; sans parler deLandevenec, cette chartreuse des lettres bretonnes que l’on a démolie pour en avoir les pierres et en construire une halle ; de cette tour deCarhaix, si massivement majestueuse, et qui, ébréchée par la foudre, a été achevée par les ingénieurs ; de l’admirable ruine deTrémazan, qu’on laisse crouler sous les dégradations des paysans et les orages de mer ; du sanctuaire druidique de la presqu’île deKermorvan, que l’on a fait sauter à la mine pour construire des étables ; que dire de cette belle cathédrale deSaint-Pol-de-Léon, que vous avez vue naguère si sombre et si majestueuse, avec ses ogives de Kersanton verdâtre qui la faisaient ressembler à une construction de bronze, et qui, maintenant, passée au lait de chaux, blanche et inondée de lumière, papillote comme la salle d’une guinguette ; que dire de l’église duFolgöat, où l’on a peint à l’huile les sculptures qui brodaient les autels, et abattu le balcon gracieux qui entourait le toit dans toute son étendue ; que dire...