: Emile Souvestre
: Un philosophe sous les toits
: Books on Demand
: 9782322137329
: 1
: CHF 3.20
:
: Philosophie
: French
: 175
: Wasserzeichen
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"Ce qu'on apprend en regardant par sa fenêtre" extrait,"Est-il bien sûr que le bonheur soit le prix des éclatantes réussites plutôt que d'une pauvreté sagement acceptée ! Ah ! si les hommes savaient quelle petite place il faut pour loger la joie, et combien peu son logement coûte à meubler."

Charles Emile Souvestre, né le 15 avril 1806 à Morlaix et mort le 5 juillet 1854 à Montmorency, est un avocat, journaliste et écrivain français. Son oeuvre abondante traite de sujets variés, notamment, sous forme de récits documentaires ou de fiction, de l'ethnographie de la Bretagne.

CHAPITRE II - LE CARNAVAL.


20 février. Quelle rumeur au dehors ! Pourquoi ces cris d'appel et ces huées ?... Ah ! je me rappelle : nous sommes au dernier jour du carnaval ; ce sont les masques qui passent.

Le Christianisme n'a pu abolir les bacchanales des anciens temps, il en a changé le nom. Celui qu'il a donné à cesjours libres annonce la fin des banquets et le mois d'abstinence qui doit suivre.Carn-à-val signifie, mot à mot,chair à bas ! C'est un adieu de quarante jours aux «benoîtes poulardes et gras jambons» tant célébrés par le chantre de Pantagruel. L'homme se prépare à la privation par la satiété, et achève de se damner avant de commencer à faire pénitence.

Pourquoi, à toutes les époques et chez tous les peuples, retrouvons-nous quelqu'une de ces fêtes folles ? Faut-il croire que, pour les hommes, la raison est un effort dont les plus faibles ont besoin de se reposer par instants ? Condamnés au silence d'après leur règle, les trappistes recouvrent une fois par mois la parole, et, ce jour-là, tous parlent en même temps, depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher. Peut-être en est-il de même dans le monde. Obligés toute l'année à la décence, à l'ordre, au bon sens, nous nous dédommageons, pendant le carnaval, d'une longue contrainte. C'est une porte ouverte aux velléités incongrues jusqu'alors refoulées dans un coin de notre cerveau. Comme aux jours des saturnales, les esclaves deviennent pour un instant les maîtres, et tout est abandonné auxfolles de la maison.

Les cris redoublent dans le carrefour ; les troupes de masques se multiplient, à pied, en voiture et à cheval. C'est à qui se donnera le plus de mouvement pour briller quelques heures, pour exciter la curiosité ou l'envie ; puis, demain, tous reprennent, tristes et fatigués, l'habit et les tourments d'hier.

Hélas ! pensé-je avec dépit, chacun de nous ressemble à ces masques ; trop souvent la vie entière n'est qu'un déplaisant carnaval.

Et cependant l'homme a besoin de fêtes qui détendent son esprit, reposent son corps, épanouissent son âme. Ne peut-il donc les rencontrer en dehors des joies grossières ? Les économistes cherchent depuis longtemps le meilleur emploi de l'activité du genre humain. Ah ! si je pouvais seulement découvrir le meilleur emploi de ses loisirs ! On ne manquera pas de lui trouver des labeurs ; qui lui trouvera des délassements ? Le travail fournit le pain de chaque jour ; mais c'est la gaîté qui lui donne de la saveur. O philosophes ! mettez-vous en quête du plaisir ! trouvez-nous des divertissements sans brutalité, des jouissances sans égoïsme ; inventez enfin un carnaval qui soit plaisant à tout le monde et qui ne fasse honte à personne.

Trois heures. Je viens de refermer ma fenêtre ; j'ai ranimé mon feu. Puisque c'est fête pour tout le monde, je veux que ce le soit aussi pour moi. J'allume la petite lampe sur laquelle, aux grands jours, je prépare une tasse de ce café que le fils de ma portière a rapporté du Levant, et je cherche, dans ma bibliothèque, un de mes auteurs favoris.

Voici d'abord l'amusant curé de Meudon ; mais ses personnages parlent trop souvent le langage des halles ; —Voltaire ; mais en raillant toujours les hommes, il les décourage. —Molière ; mais il vous empêche de rire à