I
LE DRUIDISME ET L’ASTROLOGIE — LES DRUIDES ET PYTHAGORE — LES PRATIQUES
DRUIDIQUES ET L’AUGURIUM — LE DRUIDE DIVICIAC — L’ASTROLOGIE N’A JAMAIS FAIT
PARTIE DES DISCIPLINES DU DRUIDISME — RIEN NE PROUVE QUE LES DRUIDES DE LA
DÉCADENCE AIENT ÉTÉ DES ASTROLOGUES
L’opinion la plus ancienne et la plus généralement répandue est que l’astrologie était pratiquée par les druides et les autres prêtres gaulois longtemps avant la conquête romaine.
L’« Histoire littéraire de la France par des religieux Bénédictins de la Congrégation de Saint-Maur » est très affirmative à ce propos : « Leseuhages oueubages d’Ammien Marcellin ne sont autres, dans le fond, que lesvates de Diodore de Sicile et de Strabon. Car il est certain que ces trois historiens leur attribuent les mêmes fonctions, qui étaient de sonder les secrets de la nature et de les faire connaître aux autres : ce qui regarde la physique, les divinations, l’astrologie judiciaire et la magie… Les druides étaient tout ensemble les prêtres, les philosophes, les théologiens, les jurisconsultes, les médecins, les rhéteurs, les orateurs, les mathématiciens, les géomètres, les astrologues et peut-être même les magiciens des Gaulois2 .»
Henri Martin donne à peu près les mêmes renseignements sur les ovates, classe inférieure, et sur les druides, classe supérieure des prêtres gaulois : « Ils [les ovates] étudient les lois secrètes qui relient les phénomènes de la nature, les mystères de la terre et des astres ; ils prévoient l’avenir et interrogent les volontés des puissances divines dans le vol des oiseaux, les entrailles et le sang des victimes ; ils célèbrent les sacrifices publics et privés ; ils guérissent les maladies. Ce sont à la fois des augures, des aruspices, comme ceux des Romains, et des physiologistes, selon l’expression grecque, des hommes voués aux sciences naturelles, toujours mêlées de magie dans l’antiquité qui n’a pas encore reconnu que l’Être suprême gouverne les choses physiques par des lois immuables, et qui croit les phénomènes modifiables par l’action arbitraire de puissances inconnues… Eux aussi [les druides proprement dits, qui sont au-dessus des ovates] connaissent le mouvement des astres, la figure et les proportions de la terre et du monde et les propriétés des choses3 .»
Henri Martin rappelle encore « la tradition si accréditée des relations de Pythagore avec les druides, tradition appuyée sur une étroite affinité de doctrines métaphysiques et scientifiques4 .» Dans lesÉclaircissements5 qui terminent le tome I de l’Histoire de France, il fait des druides les initiateurs de Pythagore : « On ne peut guère douter que les druides n’aient eu les mêmes connaissances et les mêmes opinions astronomiques que Pythagore, et il y a grande apparence qu’il les tenait d’eux. »
Les auteurs anciens admettaient bien l’existence des relations entre la religion des Gaulois et les dogmes de Pythagore, mais ils attribuaient ces relations à l’influence du philosophe sur les druides.
Dès le commencement de l’Empire romain, un historien grec, contemporain de César et d’Auguste, Diodore de Sicile, y fait allusion dans saBibliothèque historique. Il constate que les Gaulois ont des philosophes et des théologiens très honorés qu’ils appellent druides6 , qu’ils professent pour la vie le mépris le plus profond, et qu’ils admettent le dogme de l’immortalité et de la transmigration des âmes : il conclut que ces croyances leur viennent du système de Pythagore7 .
Au ive siècle, Ammien Marcellin, qui vécut de 330 à 400, parle lui aussi de l’influence de Pythagore sur les druides ; il emprunte tous les renseignements qu’il donne sur les Gaulois à un historien grec qui est peut être antérieur à Diodore, à Timagène d’Alexandrie8 , ami de Pollion, rénovateur, au dire de Quinti-lien9 ; de l’art d’écrire l’histoire. Au-dessus des bardes, qui célébraient les grandes actions par leurs chants héroïques, et des euhages, qui scrutaient et essayaient d’interpréter la série des sublimes mystères de la nature10, les druides, dit Ammien Marcellin, « les druides dont le génie était plus haut, attachés à des communautés dont l’influence de Pythagore avait fixé les statuts, tendirent leurs esprits vers l’étude des questions sublimes et occultes, et, par mépris des choses humaines, déclarèrent l’âme immortelle11. »
Des écrivains postérieurs à Diodore et à Timagène donnent même le nom du disciple de Pythagore qui aurait porté en Gaule les doctrines du maître ce serait, d’après Origène12, le Gète Zamolxis, esclave, puis élève du philosophe, civilisateur enfin de ses propres compatriotes et, après sa mort, honoré par eux comme un dieu13. M. Bouché-Leclercq a fait justice des innombrables légendes qui ont trait aux voyages de Pythagore ou de ses disciples chez tous les peuples dont les doctrines philosophiques et religieuses ont quelque rapport avec le pythagorisme : « Pythagore a passé partout où il y avait quelque chose à apprendre. On le conduit chez… les druides de la Gaule, de façon que sa philosophie soit la synthèse de toutes les doctrines imaginables14. »
Or, à l’époque où ces légendes se sont constituées, il faut remarquer que Pythagore était considéré comme le grand maître des ou astrologues. C’est donc, semble-t-il, sur les prétendus rapports de Pythagore astrologue avec les druides que l’on établit l’existence de l’astrologie parmi les disciplines druidiques.
Mais que l’on fasse attention aux textes que j’ai cités : Diodore de Sicile dit simplement que la croyance des druides à l’immortalité de l’âme est attribuée à l’influence de Pythagore ; Timagène rapporte que lessodalicia des druides ont été institués suivant les règles de Pythagore. Ces deux auteurs ne disent nulle part que l’astrologie ait été enseignée aux prêtres gaulois par le philosophe de Samos.
Au demeurant, aucun texte précis ne nous permet d’affirmer que les druides aient pratiqué l’astrologie. M. Fustel de Coulanges le fait remarquer avec raison : « Sur les vieilles croyances druidiques, nous ne possédons aucun livre sacré, et notre unique renseignement à cet égard est qu’il n’en existait pas15. »
A défaut de documents fournis par les druides eux-mêmes, les textes latins ou grecs sur lesquels se fondent les Bénédictins nous permettent-ils de conclure que les druides, comme le prétend l’Histoire littéraire de la France, étaient « les astrologues des Gaulois » ?
On cite un passage de César : « Les druides discutent beaucoup de questions sur les astres et leurs mouvements, sur la grandeur de l’univers et de la terre, la nature des choses, la force et la puissance des dieux immortels, et ils transmettent à la jeunesse les doctrines qui résultent de leurs discussions16. »
Sous le règne de Caligula ou sous celui de Claude, un contemporain, peut-être un parent de Sénèque, l’Espagnol Pomponius Mela, au livre III de son ouvrageDe Chorographia, première description de l’Ancien Monde qui nous soit parvenue, parle lui aussi des études des druides sur le mouvement des astres: « Les Gaulois ont une éloquence qui leur est propre et des maîtres de morale, les druides. Ceux-ci font profession de connaître la grandeur et la forme de la terre et du monde, les mouvements du ciel et des astres et toutes les volontés des dieux17. »
Fustel de Coulanges rapproche et discute les deux textes de César et de Pomponius Mela : « César remarque qu’ils disputent sur le cours des astres, sur la forme et la grandeur de la terre. Il est vrai que disputer sur le cours des astres n’est pas nécessairement connaître les lois de l’astronomie… Pomponius Mela dit qu’ilsprétendaient (profitentur) connaître le cours des...