: René Descartes
: Le Monde ou le traité de la lumière le premier ouvrage philosophique de Descartes
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: Philosophie
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Le traité du monde et de la lumière (ou le Traité de la lumière et des autres principaux objets des sens) est un traité écrit par Descartes en 1632 et 1633. C'est l'une des dernières oeuvres qu'écrivit Descartes dans le domaine scientifique. Descartes publia ultérieurement La Dioptrique, Les Météores , et la Géométrie, dont le Discours de la méthode constitue la préface, qui est le premier ouvrage philosophique de Descartes. Le traité du monde et de la lumière fut intégralement publié après la mort de Descartes en 1664.

René Descartes est un mathématicien, physicien et philosophe français, né le 31 mars 1596 à La Haye-en-Touraine, aujourd'hui Descartes, baptisé le 3 avril 1596 dans l'église Saint-Georges de Descartes, et mort le 11 février 1650 à Stockholm. Il est considéré comme l'un des fondateurs de la philosophie moderne. Il reste célèbre pour avoir exprimé dans son Discours de la méthode le cogiton (« Je pense, donc je suis ») fondant ainsi le système des sciences sur le sujet connaissant face au monde qu'il se représente.

Chapitre IV


DU VIDE ; ET D’OÙ VIENT QUE NOS SENS N’APERÇOIVENT PAS CERTAINS CORPS.

Mais il faut examiner plus particulièrement pourquoi l’air étant un corps aussi bien que les autres, ne peut pas aussi bien qu’eux être senti, et par même moyen nous délivrer d’une erreur dont nous avons été préoccupés dès notre enfance, lorsque nous avons cru qu’il n’y avait point d’autres corps autour de nous que ceux qui pouvaient être sentis : et ainsi que si l’air en était un, parce que nous le sentions quelque peu, il ne devait pas au moins être si matériel ni si solide que ceux que nous sentions davantage.

Touchant quoi je désire premièrement que vous remarquiez que tous les corps, tant durs que liquides, sont faits d’une même matière, et qu’il est impossible de concevoir que les parties de cette matière composent jamais un corps plus solide, ni qui occupe moins d’espace qu’elles font lorsque chacune d’elles est touchée de tous côtés par les autres qui l’environnent ; d’où il suit, ce me semble, que s’il peut y avoir du vide quelque part, ce doit plutôt être dans les corps durs que dans les liquides : car il est évident que les parties de ceux-ci se peuvent bien plus aisément presser et agencer l’une contre l’autre, à cause qu’elles se remuent, que ne font pas celles des autres qui sont sans mouvement.

Si vous mettez, par exemple, de la poudre en quelque vase, vous le secouez, et frappez contre, pour faire qu’il y en entre davantage ; mais si vous y versez quelque liqueur, elle se range incontinent d’elle-même en aussi peu de lieu qu’on la peut mettre. Et même si vous considérez sur ce sujet quelques-unes des expériences dont les philosophes ont accoutumé de se servir pour montrer qu’il n’y a point de vide en la nature, vous connaîtrez aisément que tous ces espaces que le peuple estime vides, et où nous ne sentons que de l’air, sont du moins aussi remplis, et remplis de la même matière que ceux où nous sentons les autres corps.

Car dites-moi, je vous prie, quelle apparence y aurait-il que la nature fit monter les corps les plus pesants, et rompre les plus durs, ainsi qu’on expérimente qu’elle fait en certaines machines, plutôt que de souffrir qu’aucune de leurs parties cessent de s’entre-toucher, ou de toucher à quelques autres corps, et qu’elle permît cependant que les parties de l’air, qui sont si faciles à plier et à s’agencer de toutes manières, demeurassent les unes auprès des autres sans s’entre-toucher de tous côtés, ou bien sans qu’il y eût quelque autre corps parmi elles auquel elles touchassent ? Pourrait-on bien croire que l’eau qui est dans un puits dût monter en haut contre son inclination naturelle, afin seulement que le tuyau d’une pompe soit rempli, et penser que l’eau qui est dans les nues ne dût point descendre, pour achever de remplir les espaces qui sont ici-bas, s’il y avait tant soit peu de vide entre les parties des corps qu’ils contiennent ?

Mais vous me pourriez proposer ici une difficulté qui est assez considérable ; c’est à savoir que les parties qui composent les corps liquides ne peuvent pas, ce semble, se remuer incessamment comme j’ai dit qu’elles font, si ce n’est qu’il se trouve de l’espace vide parmi elles, au moins dans les lieux d’où elles sortent à mesure qu’elles se remuent ; à quoi j’aurais de la peine à répondre, si je n’avais reconnu, par diverses expériences, que tous les mouvements qui se font au monde sont en quelque façon circulaires, c’est-à-dire que, quand un corps quitte sa place, il entre toujours en celle d’un autre, et celui-ci en celle d’un autre, et ainsi de suite jusqu’au dernier, qui occupe au même instant le lieu délaissé par le premier, en sorte qu’il ne se trouve pas davantage de vide parmi eux lorsqu’ils se remuent que lorsqu’ils sont arrêtés. Et remarquez ici qu’il n’est point pour cela nécessaire que toutes les parties des corps qui se remuent ensemble soient exactement disposées en rond comme un vrai cercle, ni même qu’elles soient de pareille grosseur et figure ; car ces inégalités peuvent aisément être compensées par d’autres inégalités qui se trouvent en leur vitesse.

Or nous ne remarquons pas communément ces mouvements circulaires quand les corps se remuent en l’air, parce que nous sommes accoutumés de ne concevoir l’air que comme un espace vide ; mais voyez nager des poissons dans le bassin d’une fontaine, s’ils ne s’approchent point trop près de la surface de l’eau, ils ne la feront point du tout branler, encore qu’ils passent dessous avec une très grande vitesse ; d’où il paraît manifestement que l’eau qu’ils poussent devant eux ne pousse pas indifféremment toute l’eau du bassin, mais seulement celle qui peut mieux servir à parfaire le cercle de leur mouvement, et rentrer en la place qu’ils abandonnent.

Et cette expérience suffit pour montrer combien ces mouvements circulaires sont aisés et familiers à la nature ; mais j’en veux maintenant apporter une autre, pour montrer qu’il ne se fait jamais aucun mouvement qui ne soit circulaire. Lorsque le vin qui est dans un tonneau ne coule point par l’ouverture qui est au bas, à cause que le dessus est tout fermé, c’est parler improprement que de dire, ainsi que l’on fait d’ordinaire, que cela se fait crainte du vide. On sait bien que ce vin n’a point d’esprit pour craindre quelque chose ; et quand il en aurait, je ne sais pour quelle occasion il pourrait appréhender ce vide, qui n’est en effet qu’une chimère ; mais il faut dire plutôt qu’il ne peut sortir de ce tonneau à cause que le dehors est tout aussi plein qu’il peut être, et que la partie de l’air dont il occuperait la place s’il descendait n’en peut trouver d’autre où se mettre en tout le reste de l’univers, si on ne fait une ouverture au-dessus du tonneau, par laquelle cet air puisse remonter circulairement en sa place.

Au reste, je ne veux pas assurer pour cela qu’il n’y a point du tout de vide en la nature ; j’aurais peur que mon discours ne devînt trop long si j’entreprenais d’expliquer ce qui en est ; et les expériences dont j’ai parlé ne sont point suffisantes pour le prouver, quoiqu’elles le soient assez pour persuader que les espaces où nous ne sentons rien sont remplis de la même matière, et contiennent autant pour le moins de cette matière que ceux qui sont occupés par les corps que nous sentons : en sorte que lorsqu’un vase, par exemple, est plein d’or ou de plomb, il ne contient pas pour cela plus de matière que lorsque nous pensons qu’il soit vide ; ce qui peut sembler bien étrange à plusieurs dont la raison ne s’étend pas plus loin que les doigts, et qui pensent qu’il n’y a rien au monde que ce qu’ils touchent. Mais quand vous aurez considéré ce qui fait que nous sentons un corps, ou que nous le sentons pas, je m’assure que vous ne trouverez en cela rien d’incroyable ; car vous connaîtrez évidemment que tant s’en faut que toutes les choses qui sont autour de nous puissent être senties, qu’au contraire ce sont celles qui y sont le plus ordinairement qui le peuvent être le moins, et que celles qui y sont toujours ne le peuvent être jamais.

La chaleur de notre cœur est bien grande, mais nous ne la sentons pas, à cause qu’elle est ordinaire ; la pesanteur de notre corps n’est pas petite, mais elle ne nous incommode point ; nous ne sentons pas même celle de nos habits, parce que nous sommes accoutumés à les porter : et là raison de ceci est assez claire ; car il est certain que nous ne saurions sentir aucun corps s’il n’est cause de quelque changement dans les organes de nos sens, c’est-à-dire s’il ne remue en quelque façon les petites parties de la matière dont ces organes sont composés ; ce que peuvent bien faire les objets qui ne se présentent pas toujours, pourvu seulement qu’ils aient assez de force ; car s’ils y corrompent quelque chose pendant qu’ils agissent, cela se peut réparer après par la nature lorsqu’ils n’agissent plus : mais pour ceux qui nous touchent continuellement, s’ils ont jamais eu la puissance de produire quelque changement en nos sens, et de remuer quelques parties de leur matière, ils ont dû, à force de les remuer, les séparer entièrement des autres dès le commencement de notre vie, et ainsi ils n’y peuvent avoir laissé que celles qui résistent tout...