La Femme abandonnée
À Mme la duchesse d’Abrantès[1],
Son affectionné serviteur,
Honoré de Balzac.
Paris, août 1835.
En 1822, au commencement du printemps, les médecins de Paris envoyèrent en Basse-Normandie un jeune homme qui relevait alors d’une maladie inflammatoire causée par quelque excès d’étude, ou de vie peut-être. Sa convalescence exigeait un repos complet, une nourriture douce, un air froid et l’absence totale de sensations extrêmes. Les grasses campagnes du Bessin et l’existence pâle de la province parurent donc propices à son rétablissement. Il vint à Bayeux[2], jolie ville située à deux lieues de la mer, chez une de ses cousines, qui l’accueillit avec cette cordialité particulière aux gens habitués à vivre dans la retraite, et pour lesquels l’arrivée d’un parent ou d’un ami devient un bonheur.
À quelques usages près, toutes les petites villes se ressemblent. Or, après plusieurs soirées passées chez sa cousine Mme de Sainte-Sevère, ou chez les personnes qui composaient sa compagnie, ce jeune Parisien, nommé M. le baron Gaston de Nueil, eut bientôt connu les gens que cette société exclusive regardait comme étant toute la ville. Gaston de Nueil vit en eux le personnel immuable que les observateurs retrouvent dans les nombreuses capitales de ces anciens États qui formaient la France d’autrefois[3].
C’était d’abord la famille dont la noblesse, inconnue à cinquante lieues plus loin, passe, dans le département, pour incontestable et de la plus haute antiquité. Cette espèce defamille royale au petit pied effleure par ses alliances, sans que personne s’en doute, les Navarreins, les Grandlieu, touche aux Cadignan, et s’accroche aux Blamont-Chauvry[4]. Le chef de cette race illustre est toujours un chasseur déterminé. Homme sans manières, il accable tout le monde de sa supériorité nominale ; tolère le sous-préfet, comme il souffre l’impôt ; n’admet aucune des puissances nouvelles créées par lexixe siècle, et fait observer, comme une monstruosité politique, que le Premier ministre n’est pas gentilhomme. Sa femme a le ton tranchant, parle haut, a eu des adorateurs, mais fait régulièrement ses pâques ; elle élève mal ses filles, et pense qu’elles seront toujours assez riches de leur nom. La femme et le ma