LEMUR DESLAMENTATIONS
Nous arrivons dans Jérusalem, d’abord dans sa périphérie, puis en son centre. Assez naïvement, je pensais que Jérusalem était restée une ville ancienne. Evidemment que non, j’eus presque honte de ce manque de réflexion. Jérusalem est une mégalopole de près d’un million d’habitants. Plus on se rapproche du centre-ville, plus les bâtiments récents sont remplacés par les bâtiments anciens. Je m’étonne des premiers juifs orthodoxes que je croise et ne réalise qu’à ce moment là où je suis. Le van s’arrête à lacentral station, près de la porte de Damascus.
Si Jérusalem est une ville en plein essor, elle n’en a pas pour autant perdu l’authenticité pour laquelle je suis venu : la vieille ville. Protégée par de hauts remparts en pierre ocre, accessible depuis seulement 11 portes dont l’architecture diffère et a été réfléchie avec goût. Me voilà devant le berceau des religions monothéistes. Je n’entre pas directement à l’intérieur et m’assieds quelques instants sur les escaliers qui font face à la porte de Damascus. Cette entrée ressemble à deux donjons d’un château fort. Je prends le temps de réaliser la richesse de cette ville. J’imagine les peuples antiques tels que les sumériens ou les nabatéens y commercer. J’imagine la présence des Juifs, la naissance du Christianisme, l’occupation romaine, grecque, les croisades. Je vois toutes ces époques défiler sous mes yeux.
J’entendrais presque les sabots des chevaux frapper les pavés. Allez, je me lance, prêt à recevoir cette claque culturelle. La porte de Damascus se situe dans le quartier arabe musulman. Oui, il existe des quartiers selon sa confession. Dans la vieille ville, qui ne s’étend que sur 0,9 km2, il y a un quartier arabe musulman, un quartier arabe chrétien, un quartier arménien et, bien sûr, un quartier juif. Au sein de la nouvelle ville, la division se fait avec Jérusalem Est, supposément réservée aux Palestiniens et le reste, aux Juifs.
Je décide de débuter ma visite, en ce milieu d’après-midi, par le mur des lamentations. Je dois d’abord traverser le quartier arabe musulman qui regorge de souks et de commerce. Par le plus grand des hasards, je tombe sur lavia dolorosa, la rue que Jésus Christ aurait emprunté, la croix sur le dos, avant d’être crucifié. Sur le mur, il y a un encadré. Jésus aurait précisément posé sa main ici. Légende ou réalité, je pose ma main au même endroit. Je continue ma route avant de m’arrêter quelques instants pour boire un jus de grenade.
Je profite de cette pause pour envoyer un message à Simon. Simon fait partie de la communauté des Couchsurfers. Rien de sectaire non, j’en fais aussi partie. Couchsurfing est une application qui permet de rencontrer des locaux et de dormir chez eux, gratuitement.
L’idée est de partager un moment d’échanges avec notre hôte ou avec notre invité. Par exemple, j’ai déjà hébergé un Irlandais qui faisait la traversée de l’Europe à vélo. Je ne lui ai pas demandé un centime et l’ai hébergé à bras ouverts, juste pour le plaisir de rencontrer quelqu’un que je n’aurais sûrement jamais eu l’occasion de rencontrer autrement. Bref, Simon me répond dans la foulée. Je le retrouve à 18h30 et reprends mon GPS pour trouver le mur des lamentations.
Les ruelles s’entremêlent si souvent que même le GPS se perd. J’opte alors pour m’orienter à l’ancienne, avec les panneaux. Je dois dire que c’est bien plus pratique et que cela m’évite d’avoir les yeux rivés sur mon téléphone. Le mur des lamentations est farouchement surveillé et son entrée est contrôlée. Je passe par l’un des postes de contrôle. Je dépose mes objets électroniques, fais glisser mon sac dans le boitier à rayons X et m’engouffre sous le détecteur de métaux. M’y voilà. Le mur des lamentations mesure environ 30 mètres de hauteur et plusieurs dizaines de mètres de large. C’est le vestige d’un ancien temple construit par Salomon, un personnage important dans le Judaïsme. Cet ancien temple n’était pas n’importe quel temple. A l’intérieur, auraient été entreposés des fragments de la table des 10 commandements, protégés par l’Arche d’Alliance. Cette table est le point de départ des 3 grandes religions monothéistes. C’est elle qui pose le célèbre : « tu ne tueras point, tu ne voleras point… ». Autant dire, les fondamentaux de la religion ! Même si l’Histoire, en ce y compris l’actualité, nous a montré qu’il ne s’agit que d’un mirage.
Alors, me direz-vous, pourquoi le mur des lamentations est la place sacrée des Juifs et pas celle des Chrétiens et des Musulmans ? Sûrement parce que c’est Moïse qui a reçu la table des commandements, sur le mont Sinaï, après avoir libéré le peuple Juif de l’esclavagisme pour retourner en Terre promise. Promise par qui ? Par Dieu lui-même ! Si l’on en croit la théologie, il y a plusieurs milliers d’années avant la naissance de Jésus Christ, à l’époque où le monothéiste n’existait pas, Dieu se serait révélé à Abraham par l’intermédiaire de l’ange Gabriel. Il lui aurait dit que le polythéisme n’existait pas et qu’il ne devait croire qu’en lui, seul et unique Dieu. Dieu lui aurait alors confié pour mission de répandre cette nouvelle pour éradiquer le polythéisme devenu hérétique. En échange, Dieu promettait à Abraham une descendance ainsi qu’une terre, la Terre promise. Abraham devait toutefois prouver sa dévotion. Pour ce faire, il devait sacrifier l’un de ses deux fils : Ismaël ou Isaac. Pour les musulmans, Abraham aurait choisi de sacrifier Ismaël. Pour les juifs, il aurait choisi Isaac. Bref, au moment d’abaisser l’épée sur la tête de son fils, l’ange Gabriel remplaça l’enfant par un mouton. Ce qui explique le traditionnel laïd chez les Musulmans où le mouton est égorgé, ou encore la raison pour laquelle les Juifs soufflent dans des cornes de bélier, appeléeschopfar, lors des fêtes religieuses. Peut-être y a-t-il également un lien avec l’agneau que les Chrétiens mangent à Pâques. Ce qu’il faut surtout en retenir c’est que, finalement, le Dieu des Juifs, des Chrétiens, des Musulmans est le même. Ce qui diffère, c’est la manière de le prier, de s’adresser à Lui. Ces tergiversions intellectuelles devant le mur des lamentations m’en font oublier de l’observer. Il y a des Juifs qui portent une simple Kippa, d’autres qui s’entourent le bras d’une étrange lanière en cuir, puis il y a les Juifs orthodoxes. Leur tête sont coiffées d’un large chapeau rond, dont le bord semble recueillir l'ombre de l'histoire qu'il incarne. Sous le chapeau, des boucles brunes et impeccablement enroulées encadrent leur visage, des mèches distinctives connues sous le nom depeot, qui dansent légèrement au rythme de leurs pas.
Je souhaite m’approcher du mur mais je n’ai pas de kippa… Je vois que les touristes portent tous la même kippa blanche. Je demande à l’un d’entre eux de me montrer où il l’a trouvé. Il m’emmène devant une grosse boite en plastique dans laquelle les kippas blanches s’empilent. Elles sont en libre-service, sûrement le paradis des poux. Je mets ce couvre-chef religieux qui s’envole en à peine 5 minutes avec le vent. Je joue au chat et à la souris avec lui environ 3 fois avant de trouver le bon positionnement pour qu’il reste fixé sur mon crâne.
Je peux désormais m’approcher du mur. J’entends à peine le chuchotement des prières, comme un sifflement intense qui se répète en boucle et qui ne demande qu’à recevoir l’oreille attentive d’un Dieu. Les Juifs balancent leur tête d’avant en arrière, comme un vrai pendule. Je les suppose en état de transe, entre la répétition des prières et ce mouvement incessant de va-et-vient de la tête. J’aperçois certaines personnes rouler un petit bout de papier et le glisser entre deux pierres composant le mur. Un homme me demande un stylo. Coup de chance, j’en avais un dans ma poche pensant remplir un visa à l’arrivée sur le territoire. L’homme écrit quelques lignes, me rend le stylo et part insérer son bout de papier dans le mur. Ce sont des prières. Même si je ne suis pas Juif, je...