: Stefan Zweig
: Sigmund Freud La vie et les découvertes du père de la psychanalyse
: Books on Demand
: 9782322494958
: 1
: CHF 5.20
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: Romanhafte Biographien
: French
: 164
: Wasserzeichen
: PC/MAC/eReader/Tablet
: ePUB
Zweig, écrivain et biographe renommé, offre une plongée profonde dans l'esprit brillant de Freud, explorant ses découvertes révolutionnaires, ses luttes personnelles et professionnelles, ainsi que son impact durable sur la psychologie et la culture. Le livre commence par une introduction au contexte historique et familial de Freud. Né en 1856 à Freiberg, en Moravie, Freud est issu d'une famille juive de la classe moyenne. Zweig décrit son enfance et sa jeunesse marquées par une soif insatiable de connaissances et une curiosité intellectuelle qui le conduisent à Vienne pour étudier la médecine. Zweig détaille ensuite les premières années de la carrière de Freud, ses recherches en neurologie et ses rencontres déterminantes avec des figures comme Josef Breuer, avec qui il développe les premières idées de la psychanalyse. Le livre explore la publication de l'ouvrage fondateur"L'Interpr tation des rêves" en 1899, où Freud expose ses théories sur l'inconscient, les rêves, et les mécanismes de défense.

Stefan Zweig est l'un des écrivains et biographes les plus respectés du XXe siècle. Né le 28 novembre 1881 à Vienne, en Autriche, il est connu pour ses romans, ses nouvelles et ses biographies qui captivent les lecteurs par leur profondeur psychologique et leur style élégant. Zweig a grandi dans une famille juive aisée et a reçu une éducation cosmopolite. Il a étudié la philosophie à l'université de Vienne, où il a développé un intérêt profond pour la littérature et la psychologie. Ses premiers travaux littéraires, publiés au début du XXe siècle, lui ont rapidement valu une reconnaissance internationale.

I. La situation au tournant du siècle


Combien de vérité supporte, combien de vérité ose un esprit ? C ’est ce qui est devenu pour moi, de plus en plus, la véritable mesure des valeurs. L’erreur (la foi en l’idéal) n’est pas de l’aveuglement, l’erreur est de la lâcheté... Chaque conquête, chaque pas en avant dans la connaissance découle du courage, de la dureté envers soi, de la propreté envers soi.

NIETZSCHE .

La mesure la plus sûre de toute force est la résistance qu’elle surmonte. Ainsi, l’action d’abord révolutionnaire, puis reconstructrice de Sigmund Freud n’est vraiment compréhensible que si l’on se représente la morale d’avant-guerre et l’idée qu’on se faisait alors des instincts humains. Aujourd’hui les pensées de Freud — qui, il y a vingt ans, étaient encore des blasphèmes et des hérésies — circulent couramment dans le langage et dans le sang de l’époque ; les formules conçues par lui apparaissent si naturelles qu’il faut un plus grand effort pour les rejeter que pour les adopter. Précisément parce que notre XXe siècle ne peut plus concevoir pourquoi le XIXe siècle se défendait avec tant d’exaspération contre la découverte, attendue depuis longtemps, des forces instinctives de l’âme, il est nécessaire d’examiner rétrospectivement l’attitude psychologique des générations d’alors et de tirer encore une fois de son cercueil la momie ridicule de la morale d’avant-guerre.

Le mépris de cette morale — notre jeunesse en a trop souffert pour que nous ne la haïssions pas ardemment — ne signifie pas celui de l’idée de la morale et de sa nécessité. Toute communauté humaine, liée par esprit religieux ou national, se voit forcée, dans l’intérêt de sa conversation, de refréner les tendances agressives, sexuelles, anarchiques de l’individu et de les endiguer derrière des barrages appelés Morale et Loi. Il va de soi que chacun de ces groupes se crée des normes et des formes particulières de la morale : de la horde primitive au siècle électrique chaque communauté s’efforce par des moyens différents de dompter les instincts primitifs. Les civilisations dures exerçaient durement leur pouvoir : les époques lacédémonienne, judaïque, calviniste, puritaine, cherchaient à extirper l’instinct de volupté panique de l’humanité en le brûlant au fer rouge. Mais, quelque féroces que fussent leurs commandements et leurs prohibitions, ces époques draconiennes servaient quand même la logique d’une idée. Et toute idée, toute foi, sanctifie à un certain degré la violence de son application. Si les Spartiates poussent la discipline jusqu’à l’inhumanité, c’est dans le but d’épurer la race, de créer une génération virile, apte à la guerre : du point de vue de son idéal de la Communauté, la sensualité relâchée devait être aux yeux de l’Etat un empiétement sur son autorité. Le christianisme, lui, combat le penchant charnel au nom du salut de l’âme, de la spiritualisation de la nature toujours dévoyée. Justement parce que l’Eglise, le plus sage des psychologues, connaît la passion de la chair chez l’homme éternellement adamite, elle lui oppose brutalement la passion de l’esprit comme idéal ; elle brise son entêtement orgueilleux dans les geôles et sur les bûchers, pour faire retourner l’âme dans sa patrie suprême — logique cruelle, mais logique quand même. Là comme ailleurs, l’application de la loi morale a pour base une conception du monde solidement ancrée. La morale apparaît comme la forme physique d’une idée métaphysique.

Mais au nom de quoi, au service de quelle idée le XIXe siècle dont la piété, depuis longtemps, n’est que surface, exige-t-il encore une morale codifiée ? Grossièrement matériel, jouisseur, gagneur d’argent, sans l’ombre de la grande foi cohérente des anciennes époques religieuses, défenseur de la démocratie et des droits de l’homme, il ne peut plus vouloir sérieusement interdire à ses citoyens le droit à la libre jouissance. Celui qui, sur l’édifice de la civilisation, a hissé la tolérance en guise de drapeau, ne possède plus le droit seigneurial de s’immiscer dans la conception morale de l’individu. En effet, l’Etat moderne ne s’efforce plus franchement, comme jadis l’Eglise, d’imposer une morale intérieure à ses sujets ; seul le code de la société exige le maintien d’une convention extérieure. On ne demande donc point à l’individu d’être moral, mais de le paraître, d’avoir une attitude morale. Quant à savoir s’il agit d’une façon véritablement morale, l’Etat ne s’en préoccupe pas : ça ne regarde pas que l’individu lui-même, qui est uniquement tenu de ne pas se laisser prendre en flagrant délit de manquement aux convenances. Maintes choses peuvent se passer, mais qu’il n’en soit point parlé ! Pour être rigoureusement exact, on peut donc dire que la morale du XIXe siècle n’aborde même pas le problème réel. Elle l’évite, et toute son activité se réduit à passer outre. Durant trois ou quatre générations, la civilisation a traité, ou plutôt écarté, tous les problèmes sexuels et moraux uniquement au moyen de cet illogisme niais qui veut qu’une chose dissimulée n’existe plus. Cette situation se trouve exprimée de la façon la plus tranchante par ce mot d’esprit : moralement, le XIXe siècle n’a pas été régi par Kant, mais par le « cant ».

Comment une époque si raisonnable et lucide a-t-elle pu se fourvoyer à ce point et afficher une psychologie aussi insoutenable et aussi fausse ? Comment le siècle des grandes découvertes, des conquêtes techniques, a-til pu rabaisser sa morale jusqu’à en faire un tour de prestidigitation cousu de fil blanc ? La réponse est simple : justement par orgueil de sa raison. Par infatuation optimiste de sa culture, par arrogance de sa civilisation. Les progrès inouïs de la science avaient plongé le XIXe siècle dans une sorte de griserie de la raison. Tout semblait se soumettre servilement à la domination de l’intellect. Chaque jour, chaque heure, presque, annonçait de nouvelles victoires de l’esprit ; on conquérait de plus en plus les éléments réfractaires du temps et de l’espace, les sommets et les abîmes révélaient leur mystère à la curiosité systématique du regard humain ; partout l’anarchie cédait à l’organisation, le chaos à la volonté de l’intelligence spéculative. La raison n’était-elle donc pas capable de maîtriser les instincts anarchiques dans le sang de l’individu, de discipliner et d’assagir la foule indocile des passions ? La besogne principale sous ce rapport est accomplie depuis bien longtemps, disait-on, et ce qui s’allume de temps en temps dans le sang d’un homme moderne, d’un homme « cultivé », ce ne sont plus que les derniers et pâles éclairs d’un orage passé, les ultimes convulsions de la vieille bestialité agonisante. Patience quelques années encore, quelques décennies, et le genre humain, qui a fait une si magnifique ascension du cannibalisme à l’humanité et au sens social, épurera et absorbera ces dernières et misérables scories dans ses flammes éthiques : donc, inutile même de mentionner leur existence. N’attirez pas surtout l’attention des hommes sur les choses sexuelles, et ils les oublieront. N’excitez pas par des discours cette bête antédiluvienne, emprisonnée derrière les barreaux de fer de la morale, ne la nourrissez pas de questions, et elle s’apprivoisera. Passez vite, en détournant le regard devant tout ce qui est désagréable, toujours faire comme si l’on ne voyait rien : c’est là, en somme, tout le code moral du XIXe siècle.

L’Etat arme toutes les puissances qui dépendent de lui pour cette campagne concentrique contre la franchise. Toutes, science, art, famille, église, école, université, reçoivent les mêmes instructions de guerre : éluder toute explication, ne pas attaquer l’adversaire mais l’éviter en faisant un grand détour, ne jamais entrer en...