J-7 avant Noël
Lorsqu’il ouvrit les yeux, Seohyeok se sentit comme un enfant : il ne restait plus que sept jours avant Noël!
Son expression prit tout à coup un pli paniqué. Oh non, sept jours! Ce qui signifiait que…
« Hyung! »
Seohyeok esquiva tout juste son cadet qui, entré comme une furie dans sa chambre, venait de bondir sur son lit. L’aîné roula avec agilité et gloussa quand son petit frère leva vers lui un visage dépité.
« Ça, c’était pas cool, lui reprocha-t-il. Je veux mon câlin!
— Je laisse mon tour à ton copain.
— Je comptais bien lui en faire un, à lui aussi. Mais comment tu veux que je commence cette journée correctement si toi tu me fais pas mon câlin?
— C’est pas un câlin que t’essaies de me faire, Jun, mais un plaquage. Ça fait quinze ans que tu n’as plus six ans, tu te rends compte?
— Et alors?
— T’es lourd.
— Et alors?
— Tss, allez, idiot, viens là, mais en douceur, cette fois.
— Oui! »
Ravi, Seojun se jeta dans les bras ouverts de son aîné qui le serra contre lui : chaque année, une semaine avant Noël, pour célébrer le début de cette magnifique période, ils s’étreignaient. Le jeune homme tenait beaucoup à ce rituel, très affectueux vis-à-vis de son grand frère qu’il idolâtrait.
D’une certaine manière, Seohyeok se désolait de songer que cet attachement qu’il éprouvait pour lui était sans doute causé par l’absence de leurs parents qu’ils avaient peu connus. Ils s’étaient soutenus dans les épreuves et s’étaient construits sans eux, seulement avec leur grand-père qui avait servi de substitut. Par chance, grâce à lui, leur enfance s’était déroulée de manière heureuse, ils avaient su s’épanouir pour devenir de jeunes hommes travailleurs et passionnés.
Seohyeok tapota avec tendresse le dos de Seojun et s’écarta de lui qui le relâcha. Un regard fut échangé, les deux frères se séparèrent. Ils discutèrent en prenant leur petit déjeuner au salon, où se trouvaient déjà leur père et leur grand-père, tous deux attablés devant le journal télévisé.
Dans la famille, chacun se ressemblait : des visages fins, délicatement sculptés, des yeux en amande d’un marron profond, un sourire à se damner et un corps élancé. La bonté marquait leurs traits – ce n’était pas pour rien que le magasin de Séoul attirait une clientèle globalement plus féminine que les autres.
En effet, d’une petite boutique perdue en banlieue de Daegu, le grand-père des deux garçons était passé à une monstrueuse chaîne de magasins qui rapportaient chaque année une véritable fortune aux Hwang. En dépit de cette impressionnante montée en gamme, les lieux conservaient cet esprit de Noël qui les rendait si prisés au moment des fêtes. La famille avait vu son quotidien changer du tout au tout, pourtant chacun gardait au fond de son cœur cette humilité et cette générosité qui faisaient d’eux des personnalités très appréciées dans le monde des affaires.
Comme chaque jour dès qu’il en avait l’occasion, Seohyeok se rendit au travail à pied : d’après son contrat, il était manager du magasin – co-manager avec son grand-père, en vérité –, mais il passait son temps à accueillir, conseiller et encaisser les clients. Lui, ce qu’il préférait, c’était le terrain : rester auprès des marchandises et des acheteurs. Il possédait un sens du contact inné, depuis toujours il aimait déambuler dans les rayons et trouver à chacun l’article idéal.
Il ne s’y connaissait pas juste en jouets, il se révélait spécialisé dans tout ce qui touchait à Noël : nourriture, vêtements, babioles, décorations, livres, etc. Rien ne lui était étranger. Ses compétences l’avaient hissé au rang de meilleur vendeur du magasin… même s’il n’était pas considéré comme vendeur. Il changeait souvent de casquette et contrôlait l’ensemble du personnel avec un talent que tous lui reconnaissaient. Seohyeok était né pour ce travail.
Seojun quant à lui, tout aussi talentueux, s’était tourné vers un domaine bien précis : l’animation. C’était en effet lui qui gérait toutes les activités, qu’il s’agisse de la simple venue du père Noël ou bien d’un concours dans tout le pays avec de nombreux partenaires privés et publics. Les animations qui donnaient son âme au magasin dans lequel il exerçait restaient néanmoins ses favorites. Il s’investissait corps et âme pour ravir petits et grands, ses initiatives toujours couronnées de succès. Il demeurait un des salariés les plus appréciés par ses collègues, tant pour son dévouement que pour sa gentillesse. Seohyeok lui-même l’admirait et espérait lui ressembler.
En arrivant au magasin, le jeune homme sentit un sourire étirer ses lèvres lorsque son regard se posa sur un employé en train de distribuer des flocons de plastique ornés d’un nombre. Si jadis leur grand-père s’en chargeait, aujourd’hui la tâche d’organiser la loterie de Noël incombait à Seojun, qui en éprouvait une fierté qu’il ne savait pas cacher. Ce n’était non plus un mais dix numéros qui étaient tirés, afin de ravir dix clients à l’approche de cette fête si spéciale à leurs yeux autant qu’à leur cœur.
Le tirage au sort se déroulerait à quatre heures de l’après-midi. Seojun terminait les derniers préparatifs, soutenu par plusieurs employés. Seohyeok quant à lui avait prévu de s’occuper du rayon des articles de luxe : son grand-père lui avait demandé d’aller s’assurer que les nouveaux produits étaient correctement mis en avant, de même que les offres promotionnelles. Il avait pour mission de vérifier que l’agencement permettrait une optimisation des ventes.
Son aïeul pourtant savait à quel point Seohyeok méprisait cette partie de son travail : ce qui l’intéressait le plus, c’était la gestion des allées qu’il considérait comme les plus magiques. Or, son grand-père lui imposait de plus en plus souvent des tâches axées sur les bénéfices du magasin – aucun des deux n’aimait ces obligations, mais jusque-là le vieil homme s’en chargeait, si bien que Seohyeok s’inquiétait qu’il lui délègue cette responsabilité.
Le jeune homme, malgré ses réticences, était doué pour cerner ce qui fonctionnerait. Pour autant, il s’en moquait. Son intérêt résidait dans le bonheur de chacun. Jadis, dans leur petit commerce, les chiffres n’avaient jamais importé.
Le rayon des produits de luxe était majestueux, à l’image des articles en vente. Venir ici avait tendance à mettre Seohyeok mal à l’aise : il ne se sentait pas dans son élément. Cependant, il s’acquitta de sa tâche avec sérieux. Il déplaçait des parfums quand on l’interpela.
« Excusez-moi, est-ce que vous pourriez m’aider, s’il vous plaît? »
Il se retourna aussitôt et, en s’inclinant, indiqua avec politesse à son client qu’il se tenait à sa disposition. En relevant la tête, il découvrit avec étonnement un garçon sans doute à peine plus vieux que lui, affublé de chaussures chics de cuir véritable, d’un pantalon qui semblait avoir coûté aussi cher qu’elles, et d’un long manteau élégant dont le vendeur n’osait pas estimer le prix. Son visage affichait un air affable, accentué par un sourire poli et des yeux qui brillaient d’un éclat de bienveillance.
« Je cherche à faire un cadeau à mon père, indiqua-t-il. Je sais qu’il aime beaucoup les vêtements et les accessoires, mais je ne sais pas exactement ce qui pourrait lui plaire.
— Nous allons regarder ça, proposa Seohyeok, suivez-moi. »
Il passa devant, arriva au rayon des habits, et s’enquit auprès de son client des goûts de son père, de ce qu’il portait à l’accoutumée.
« J’ai rarement l’occasion de le voir sans son costard cravate, rit le jeune homme, alors je ne saurais pas vous répondre.
— Et pour ce...