: Santiago Galera
: Le crépuscule Inachevé
: Books on Demand
: 9782322510207
: 1
: CHF 0.50
:
: Romanhafte Biographien
: French
: 176
: Wasserzeichen
: PC/MAC/eReader/Tablet
: ePUB
Le destin est-il armé d'un couteau? Si les mythes éclairent les hommes, au sein de la famille Richebourg, le destin peut prendre des allures sombres. Qu'en est-il des jumeaux, Ronan et Rudolf? Vont-ils devenir semblables au destin de la légende romaine, Romulus et Rémus? Le premier est un artiste peintre qui cherche à s'accomplir et qui s'interroge sur l'avenir de l'art; le second travaille au sein de la société Richebourg et méprise son frère. Cependant, il nourrit du ressentiment à son égard et ignore que la création est synonyme de sacerdoce. Qu'en est-il de Ronan Richebourg? Sa vie se résume à l'art, et lui-même rêve de peindre la grande oeuvre qui ferait la synthèse des arts anciens et modernes. Parfois, il s'interroge sur les oeuvres d'Eugène Delacroix et d'Edouard Manet. Néanmoins, il questionne ses oeuvres.

Santiago Galera, né à Nantes, décrit les combats, les défaites et les victoires de chacun de ses personnages. Au plus profond d''eux-mêmes, ils parviennent à transformer leur souffrance en force de vivre.

I


La galerie Bellanger


Plaidoyer pour des œuvres prometteuses, voilà l’ambition d’Hugo Bellanger ! Le visage ridé, une physionomie souriante et le regard vif, à soixante-deux ans, il expose dans les foires d’art contemporain, et dans sa profession, ses choix reflètent sa personnalité. Galeriste depuis trois décennies, sa passion de l’art le guide vers des artistes peintres qui font les ambitions de demain. Il visite chaque année des ateliers d’artistes, et ce découvreur né laisse ordinairement mûrir ses projets. Un jour d’été, à Versailles, un ancien professeur de l’école des Beaux-Arts lui parle d’un ancien étudiant, Ronan Richebourg. Fin septembre, il visite l’atelier et découvre les œuvres d’un artiste âgé de vingt-cinq ans. Depuis ce rendez-vous, Ronan a mûri, et en ce samedi d’octobre où il expose à la galerie, exceptionnellement, il porte un costume gris. Au moment où il entre dans la galerie, Hugo le reçoit cordialement. L’un et l’autre échangent quelques mots concernant l’exposition et certains collectionneurs le félicitent. L’art a sa part de mystère et, des grottes de Lascaux à Giorgio de Chirico, certains artistes modernes tentent de percer les secrets des chefs-d’œuvre de l’humanité. En milieu d’après-midi, sa sœur Ariane, accompagnée de son époux, semble bouleversée. L’année dernière, elle a mis au monde un enfant mort-né et, pour surmonter les larmes, Ronan a peint des crânes et des anges. Sa sœur comprend que l’exposition explore l’éternelle question de l’homme et de sa fragilité. En quelque sorte, l’art permet d’exorciser les malheurs de la vie. Entre naissances et décès, entre joies et peines, la vie humaine n’est qu’une longue épreuve où chacun est soumis aux caprices du destin. Devant Ariane, il ne peut s’empêcher de sourire et il l’embrasse chaleureusement. Il n’aime guère les vernissages. Généralement, il prend ses distances avec les collectionneurs qui viennent admirer ses œuvres. Il regarde sa sœur et salue son beau-frère. Un homme bedonnant, vêtu d’un blazer bleu marine, le félicite. Ce distributeur spécialisé dans le domaine de l’informatique investit chaque semestre dans des artistes de renom.

— Vous allez devenir prospère ! dit-il aimablement.

— Croyez-vous ? demande Ronan qui fait preuve de réserve.

— Je plaisante, reprend-il en riant.

— Pourquoi avez-vous peint des anges ? interoge cet homme.

— Je ne peux vous répondre, répond Ronan qui observe sa sœur.

Devant Ariane, il fait preuve de pudeur, car il ne veut pas mélanger les questions familiales et l’art à proprement dit. Depuis des années, il vit dans son atelier, reclus du reste du monde et, lors des vernissages, il a le sentiment qu’un décalage se produit entre lui et les expositions. En somme, il n’a pas l’habitude de côtoyer des personnes. Cependant, il expose à Rome, Madrid, Genève, Berlin et Londres. Sa sœur regarde à nouveau les œuvres exposées et découvre que son frère bouscule les idées reçues de son époque. Par exemple, Ronan redoute les critiques d’art, car ils ne prennent pas toujours en question ses préoccupations d’ordre artistique. Cet artiste est une sorte d’esthète qui tente de marcher dans le sillage des grands noms de l’histoire de l’art. Ainsi, il admire Mantegna, Philippe de Champaigne, Le Tintoret, et les jours où il est fatigué ou déprimé, il doute de lui-même. En revanche, il se méfie des artistes à la mode, car il ne cesse de penser que la mode se démode. Devant un collectionneur accompagné de sa femme, il pose des questions, et cet industriel vêtu d’un pull-over bleu et d’une veste en tweed ne comprend pas qu’il puisse peindre des sujets sortis de l’histoire. Sa collection comprend des œuvres de Daniel Buren et, devant ses amis, il est fier de sa dernière acquisition, une œuvre de Sigmar Polke. Il échange encore quelques mots de cordialité avec cet homme qui en impose par sa forte personnalité. L’homme l’observe, et Ronan découvre qu’il n’a rien à dire de particulier. Quelques minutes plus tard, son frère, vêtu d’un imperméable, entre dans la galerie. Les mains dans les poches de son vêtement, il fait preuve d’une certaine légèreté. Il n’aime guère l’art en général, et sa vision du monde se fonde sur l’argent. Si le premier explore la solitude, le second cherche à découvrir des horizons nouveaux.

— Fidèle à tes engagements ! affirme-t-il pres que ironiquement.

— Pourquoi changer ? répond-il du bout des lèvres.

— Voilà un rebelle dans l’âme ! dit-il sauvagement.

Chacun s’imagine que l’art est un havre de paix. Un artiste peintre qui explore d’autres rivages met sa vie au service de la beauté et de la vérité. Son frère ne voit dans l’art que les apparences et ne cherche pas à pénétrer la profondeur des œuvres. Au moment où Ariane s’interpose entre ses frères, elle refuse que ceux-ci se livrent à une bataille verbale. Au même moment, il aperçoit des personnes de sa connaissance et oublie son frère. Question famille, les frères jumeaux se ressemblent à la perfection. Cependant, leurs personnalités ne s’accordent pas, car question culture, l’un et l’autre ne parviennent pas à se comprendre. Le premier écoute de la musique sacrée, le second les chansons des Rolling Stones. Selon Ronan, les messes de Wolfgang Amadeus Mozart transcendent l’humain, tandis que les chansons des Stones sont synonymes d’une anarchie des âmes.

Discrètement, il s’écarte de sa famille et rejoint un collectionneur qui affectionne ses œuvres. Cet industriel achète des œuvres à la FIAC et fréquente les grandes galeries parisiennes. Depuis des années, il refuse d’acquérir des artistes qui défrayent la chronique. Méfiant par nature, il achète peu et s’abstient des coups de cœur. Il possède des dessins de William de Kooning. Sa collection fait des envieux et, à quarante-neuf ans, il possède une œuvre d’Anselm Kiefer. Sa femme travaille dans le secteur de la mode et, chaque mois, elle lit la presse spécialisée. Ce collectionneur possède également des œuvres de Gérard Garouste, Sandro Chia, Markus Lüpertz et Miquel Barceló. Au moins, il a la certitude que ces artistes ne perdront pas leur cote au fil des années. Pourtant, il a acheté une œuvre de Ronan Richebourg. Depuis qu’une institution culturelle l’expose, il peut envisager d’investir dans l’une de ses œuvres. Aujourd’hui, il a décidé d’acheter cet artiste peintre qui bouscule les paradigmes de son époque et qui méprise les tenants de l’art conceptuel.

Parmi les invités, il aperçoit Roxane et, discrètement, il la rejoint. Les vernissages sont l’occasion de revoir les amis ou les collectionneurs. Vingt-six ans, une silhouette longiligne, ses yeux perçoivent la profondeur des êtres. Depuis des années, il refuse de perdre son temps avec des jeunes femmes qui ne voient en lui que sa puissance sociale. Avare de son temps, il a choisi la solitude et n’aime guère sortir. Que fait-elle de son temps ? Depuis sa vingt-deuxième année, elle vit de ses charmes. Elle s’acoquine avec des hommes qui font preuve d’une certaine prodigalité. Ses clients sont des hommes d’affaires qui allient courtoisie et respect. Chaque année, il l’invite au vernissage. Chic et glamour, la belle accompagnatrice de rêve aime dédier sa vie aux rencontres, et ses maîtres-mots sont le plaisir, le désir et la volupté. Depuis quelques semaines, elle réside dans le septième arrondissement et apprécie les accointances intellectuelles et sensuelles. Quand elle est arrivée à Paris, elle se souvient de sa timidité et de ses premiers cours à la Sorbonne. À l’époque, elle ne parvenait pas à vivre de sa bourse d’études. C’est alors que, pour arrondir les fins de mois, une amie l’invite à devenir courtisane. Très vite, elle se prend au jeu, et sans fausse modestie, elle accompagne des hommes qui cherchent à combler leur solitude d’une soirée ou d’une nuit.

— Mon cher, tu ne changes pas ! dit-elle en l’embrassant.

— Pourquoi ? Je ne comprends pas, répond-il en souriant.

Dans sa manière d’être, elle donne...