CHAPITRE PREMIER.
« Ces vapeurs bouillonnant tout autour des glaciers,
« Au-dessous de mes pieds s’élèvent en spirale :
« Ces nuages épais dont la blancheur égale
« Celle qu’offre à nos yeux l’Océan écumant,
« Quand son sein se soulève, agité par le vent…
« Ah ! la tête me tourne !
Manfred.
Prèsde quatre siècles se sont écoulés depuis que les événemens qui vont être rapportés dans cet ouvrage se passèrent sur le continent. Les documens qui contenaient l’esquisse de cette histoire, et qu’on pourrait invoquer comme les preuves de son authenticité, furent long-temps conservés dans la superbe bibliothèque de Saint-Gall ; mais ils ont été détruits, ainsi que la plupart des trésors littéraires de ce couvent, quand il fut pillé par les armées révolutionnaires de la France. La date historique de ces événemens nous reporte au milieu du quinzième siècle, époque importante où la chevalerie brillait encore d’un dernier rayon qui devait être bientôt totalement éclipsé, dans quelques pays par l’établissement d’institutions libres, dans d’autres par celui du pouvoir arbitraire, ce qui rendait également inutile l’intervention de ces redresseurs de torts, dont l’autorité n’était appuyée que sur le glaive.
Au milieu de la lumière générale qui s’était récemment répandue sur l’Europe, plusieurs pays, tels que la France, la Bourgogne, l’Italie, et plus particulièrement l’Autriche, avaient appris à connaître le caractère d’un peuple dont jusqu’alors ils avaient à peine soupçonné l’existence. Il est vrai que les habitans de ces contrées situées dans les environs des Alpes, cette immense barrière, n’ignoraient pas que malgré leurs aspects déserts et sauvages, les vallées isolées qui serpentaient entre ces montagnes gigantesques nourrissaient une race de chasseurs et de bergers ; ces montagnards vivant dans un état de simplicité primitive, arrachant au sol par de pénibles travaux des moyens de subsistance, poursuivant le gibier sur les montagnes les plus inaccessibles et à travers les forêts de pins les plus épaisses, conduisaient leurs bestiaux où ils pouvaient trouver quelque pâture, même dans le voisinage des neiges éternelles. Mais l’existence d’un tel peuple, ou plutôt d’un certain nombre d’agrégations d’hommes réduits presque tous aux mêmes travaux et à la même pauvreté, avait peu occupé l’attention des princes riches et puissans des environs. C’est ainsi que les troupeaux majestueux qui paissent dans de fertiles prairies s’inquiètent peu que quelques chèvres sauvage