PRÉFACE
Avez-vous lu Baruch ? Peut-être ! Mais vous n’avez pas lu Kourroglou. Lecteur, que lisez-vous donc ! Quoi, vous n’avez pas lu Kourroglou ! Kourroglou a été traduit du persan (car vous n’êtes pas obligé, ni moi non plus, de savoir le persan), et vous ne vous en doutez pas plus que je ne m’en doutais la semaine dernière ? Ah ! si j’étais lecteur de mon état, je ne voudrais pas avouer que je ne connais pas Kourroglou ! En vain vous m’alléguerez que Kourroglou a été traduit du perso-turc en anglais, et que peut-être vous ne savez pas l’anglais : c’est une mauvaise défaite. Vous devriez le savoir, et moi aussi ; mais je ne le sais pas, ni vous non plus, je suppose. Pourtant je le comprends, assez pour essayer de vous faire connaître Kourroglou, et je commence, renvoyant ceux de vous qui lisent l’anglais couramment à la traduction première, qui est toujours la meilleure, ayant été faite par un homme versé dans les langues orientales et dans les dialectes tuka-turkman, perso-turc, zendo-persan et autres, que nous connaissons aussi… de réputation.
Mais avant d’entendre cette merveilleuse et curieuse histoire, il est bon que vous sachiez que le fond en est véritable, et que le célèbre Kourroglou, dont vous n’aviez jamais entendu parler, eut un personnage historique. Le nord de la Perse et les rives de la mer Caspienne sont pleins de sa gloire, et le récit de ses exploits est aussi populaire que celui de la guerre de Troie au temps d’Homère. Il est vrai qu’un Homère a manqué à notre héros jusqu’à ce jour, et qu’il a fallu la patience, la curiosité et le génie investigateur d’un Européen pour rassembler, résumer et coordonner les interminables fragments que les rapsodes orientaux débitent aux oreilles ravies et enflammées de leurs auditeurs.
Honneur et grâces soient donc rendus à M. Alexandre Chodzko, l’Homère de Kourroglou. L’épopée de sa vie n’avait jamais été écrite, et il n’est pas bien prouvé que Kourroglou lui-même ait su écrire ; il avait tant d’autres choses à faire, le vaillant diable à quatre ! boire, battre, être un vert galant ; mais ce n’est pas tout. Il avait encore le talent de chanter en improvisant ; sa poésie et sa voix résonnaient de la Perse à la Turquie, de Khoï à Erzeroum, et sa guitare faisait presque autant de miracles que son cimeterre.
Mais qu’était-ce donc que Kourroglou ? C’était bien plus qu’un poète, bien plus qu’un barde, bien plus qu’un lettré, bien plus qu’un pontife, bien plus qu’un roi, bien plus qu’un philosophe. Il était ce qu’il y a de plus grand… en Perse : il était bandit. Quand vous aurez fait connaissance avec lui, vous verrez que ce n’est pas peu de chose ; mais vous conviendrez qu’à moins d’être Kourroglou, il ne faut pas s’en mêler.
Kourroglou était (c’est M. Alexandre Chodzko qui parle)
« un Turkman-Tuka, natif du Khorassan septentrional. Il a vécu dans la seconde moitié du XVIIe siècle ; il a rendu son nom illustre en pillant les caravanes sur la grande route ; mais ses improvisations poétiques l’ont fait plus grand encore. Les T