: George Sand
: Jacques
: Books on Demand
: 9782322454488
: 1
: CHF 3.50
:
: Krimis, Thriller, Spionage
: French
: 443
: Wasserzeichen
: PC/MAC/eReader/Tablet
: ePUB
C'est un roman épistolaire. Fernande doit épouser Jacques, un homme plus âgé qu'elle, mais fortuné. Fernande confie à son amie Clémence qu'elle pense être amoureuse de Jacques. Clémence la met en garde contre les mariages précipités et arrangés par les parents.

George Sand, nom de plume d'Amantine Aurore Lucile Dupin de Francueil, par mariage baronne Dudevant, est une romancière, dramaturge, épistolière, critique littéraire et journaliste française, née à Paris le 1er juillet 1804 et morte au château de Nohant-Vic le 8 juin 1876.

DEUXIÈME PARTIE.


XIX.

DE FERNANDE À CLEMENCE

Saint-Léon en Dauphine, le…

Pardonne-moi, mon amie, d’avoir passé un mois sans t’écrire. C’est bien mal de ma part, et tu as raison de me gronder. Oui, il est bien vrai que je t’ai accablée de mes lettres quand j’étais tourmentée, quand j’avais besoin de tes conseils et de tes consolations ! Et maintenant que je suis heureuse, je te délaisse. L’amour est égoïste, dis-tu, il n’appelle l’amitié à son secours que lorsqu’il souffre ; j’ai agi du moins comme si cela était inévitable, j’en suis toute honteuse, et je t’en demande Pardon.

Pour réparer ma faute ; ce que je puis faire de mieux, c’est de répondre à toutes tes questions, et de te prouver ainsi que je ne t’ai rien retiré de ma confiance ; mais si je reviens à toi, n’en conclus pas, malicieuse, que ma lune de miel est finie ; tu vas voir que non.

Si j’aime toujours mon mari autant que le premier jour ? Oh ! certainement, Clémence, et même je puis dire que je l’aime bien plus. Comment pourrait-il en être autrement ? Chaque jour me révèle une nouvelle qualité, une nouvelle perfection de Jacques. Sa bonté pour moi est inépuisable, sa tendresse, délicate comme celle d’une bonne mère pour son enfant. Aussi chaque jour me force à l’aimer plus que la veille. À cette félicité du cœur, à ces joies de l’amour heureux et satisfait, se joignent pour moi mille petites jouissances qu’il y a peut-être de la puérilité à mentionner, mais qui sont très-vives, parce qu’elles m’étaient absolument inconnues. Je veux parler du bien-être de la richesse, qui succède pour moi à une vie d’économie et de privations. Je ne souffrais pas de cette médiocrité, j’y étais habituée ; je ne désirais pas devenir riche, je ne songeais pas plus à la fortune de Jacques, en l’épousant, que si elle n’eût pas existé ; pourtant je ne crois pas qu’il y ait de la bassesse à m’apercevoir des avantages qu’elle procure et à savoir en jouir.

Ces plaisirs journaliers, ce luxe, ces mille petites profusions dont je suis entourée, me seraient aussi amers qu’ils me sont précieux, si je les devais à un contrat avilissant, ou si je les recevais d’une main orgueilleuse et détestée ; mais recevoir tout cela de Jacques, c’est en jouir deux fois ! Il y a tant de grâce, je pourrais même dire de gentillesse dans ses dons et dans ses prévenances ! Il semble que cet homme soit né pour s’occuper du bonheur d’autrui, et qu’il n’ait pas d’autre affaire dans la vie que de m’aimer.

Tu me demandes si cette vie de château me plaît, si je ne m’en dégoûterai pas, si la solitude ne m’effraie point. La solitude ! quand Jacques est avec moi ! Ah ! Clémence, je le vois bien, tu n’as jamais aimé. Pauvre amie, que je te plains ! tu n’as pas connu ce qu’il y a de plus beau dans la vie d’une femme. Si tu avais aimé, tu ne me demanderais pas si je me trouve isolée, si j’ai besoin des plaisirs et des distractions de mon âge ; mon âge est fait pour aimer, Clémence, et il me serait impossible de me plaire à quelque chose qui fût étranger à mon amour. Quant aux amusements que je partage avec Jacques, je les aime et je les ai à discrétion ; j’en ai même plus que je ne voudrais, et souvent j’aimerais mieux rester seule avec lui à parcourir tranquillement les allées de notre beau jardin