II
M. CACHELIN habitait dans le haut de la rue Rochechouart, au cinquième étage, un petit appartement avec terrasse, d’où l’on voyait tout Paris. Il avait trois chambres, une pour sa sœur, une pour sa fille, une pour lui ; la sale à manger servait de salon.
Pendant toute la semaine il s’agita en prévision de ce dîner. Le menu fut longuement discuté pour composer en même temps un repas bourgeois et distingué. il fut arrêté. ainsi : un consommé aux œufs, des hors-d’œuvre, crevettes et saucisson, un homard, un beau poulet ; des petits pois conservés, un pâté de foie gras, une salade, une glace, et du dessert.
Le foie gras fut acheté chez le charcutier voisin, avec recommandation de le fournir de première qualité. La terrine coûtait d’ailleurs trois francs cinquante. Quant au vin, Cachelin s’adressa au marchand de vin du coin qui lui fournissait au litre le breuvage rouge dont il se désaltérait d’ordinaire. il ne voulut pas aller dans une grande maison, par suite de ce raisonnement : “Les petits débitants trouvent peu d’occasions de vendre leurs vins fins. De sorte qu’ils les conservent très longtemps en cave et qu’ils les ont excellents.”
Il rentra de meilleure heure le samedi pour que tout était prêt. Sa bonne, qui vint lui ouvrir, était plus rouge qu’une tomate, car son fourneau, allumé depuis midi, par crainte de ne pas arriver en temps, lui avait rôti la figure tout le jour, et l’émotion aussi l’agitait.
il entra dans la salle à manger pour tout vérifier.
Au milieu de la petite pièce, la table ronde faisait une grande tache blanche, sous la lumière vive de la lampe coiffée d’un abat-jour vert.
Les quatre assiettes, couvertes d’une serviette pliée en bonnet d’évêque. par Mlle Cachelin, la tante, étaient flanquées des couverts de métal blanc, et précédées de deux verres, un grand et un petit.
César trouva cela insuffisant comme coup d’œil, et il appela : “Charlotte.”
La porte de gauche s’ouvrit et une courte vieille parut. Plus âgée que son frère de dix ans, elle avait une étroite figure qu’encadraient des frisons de cheveux blancs obtenus au moyen de papillotes. Sa voix mince semblait trop faible pour son petit corps courbé, et elle allait d’un pas un peu traînant avec des gestes endormis. On disait d’elle, au temps de sa jeunesse :
“Quelle mignonne créature.” Elle était maintenant une maigre vieille, très propre par suite d’habitudes anciennes, volontaire, entêtée, avec un esprit étroit, méticuleux, et facilement irritable. Devenue très dévote, elle semblait avoir totalement oublié les aventures des jours passés.
Elle demanda : “Qu’est-ce que tu veux.”
Il répondit : “Je trouve que deux verres ne font pas grand effet. si on donnait du champagne. Cela ne me coûtera jamais plus de trois ou quatre francs, et on pourrait mettre, tout de suite les flûtes. On changerait tout à fait l’aspect de la salle.”
Mlle Charlotte reprit : “Je ne vois pas l’utilité de cette dépense. Enfin, c’est toi qui paies, cela ne me regarde pas.”
Il hésitait, cherchant à se convaincre lui-même : “Je t’assure que cela fera mieux. Et puis, pour le gâteau