CHAPITRE II. Le petit homme qui provoqua une rixe
Ce ne fut pas une tâche agréable que d’accueillir le père de Reggie Weldrake, à son arrivée à Malte.
Le défunt avait été populaire à la fois chez les hommes et chez les officiers, ses compagnons, et l’on ressentit quelque satisfaction lorsqu’on apprit que son père était attendu. Mc Elvie exprima le souhait général lorsqu’il dit espérer que Mr Weldrake senior était un gaillard habile de ses poings, qui venait avec l’intention précise de rencontrer Emil Louba.
— Il n’y a aucune autre raison qui l’ait fait venir, avait-il observé plein d’espoir. Il ne porte pas d’uniforme, et il peut joliment bien servir à Louba ce qu’il mérite !
Cependant, la mission de le saluer à son arrivée et de lui fournir des détails sur la mort de son fils n’était pas précisément convoitée, et Hurley Brown s’en chargea avec quelque appréhension.
Il cherchait un homme de haute stature, résolu, une plus ancienne et plus solide édition de Reggie Weldrake, et fut surpris quand ses yeux tombèrent sur la petite silhouette ratatinée de Mr Weldrake.
Si l’indignation générale avait régné auparavant, elle fut avivée par le pathétique petit homme sur qui le coup était tombé. Il était visible que son garçon avait été son univers, sa mort un choc dévastateur.
Il n’exprima aucune plainte, ne rechercha aucune sympathie : sa reconnaissance pour l’amabilité qu’on lui montrait était émouvante, et il s’intéressait vivement à toute anecdote, même triviale, de quiconque lui parlant de son fils. Il s’assit dans la petite chambre de l’officier, seul pendant des heures, touchant les objets qui lui avaient appartenu, lisant ses dernières notes. Et chaque jour, on put voir cette petite silhouette solitaire se pencher sur la tombe de son fils.
La sympathie que l’on témoignait à Reggie Weldrake fut reportée sur son père, et la seule vue du petit homme désespéré agit comme un excitant sur la rage qui brûlait contre Louba.
Ce fut Da Costa qui remua la braise et en fit jaillir la flamme.
Rencontrant Weldrake un soir, errant sans but selon sa manière, il l’arrêta et lui montra du doigt la maison de Louba.
— C’est là que votre fils a reçu son coup mortel, dit-il. C’est là qu’Emil Louba s’enrichit en ruinant les autres et en les acculant au suicide.
La maigre figure de Weldrake se tourna dans la direction des lumières rouges qui illuminaient l’extérieur du bâtiment et il approuva lentement de la tête.
Da Costa avait semé le grain et il ne fut pas surpris de voir Weldrake continuer rapidement et nerveusement sa promenade en se dirigeant tout droit vers l’établissement de Louba. Il