: Manon Lilaas
: Symphonie
: Books on Demand
: 9782322445783
: 1
: CHF 4.50
:
: Essays, Feuilleton, Literaturkritik, Interviews
: French
: 230
: Wasserzeichen
: PC/MAC/eReader/Tablet
: ePUB
Symphonie, c'est un recueil de trois nouvelles boy's love : « Le monstre sous le lit », « Le garçon fleur » et « Le garçon arc-en-ciel ». Leur point commun ? L'irruption du fantastique dans un monde où l'on ne croit que ce que l'on voit . D'abord publiées en ligne, c'est finalement en format papier que ces histoires voient le jour, de sorte que chacun puisse les redécouvrir d'une autre manière.

Auteure de vingt-trois ans, sur Wattpad depuis déjà plusieurs années sous le pseudonyme de Lilaas93, Manon a eu la chance d'être soutenue dans ses projets par des abonnés toujours plus nombreux. Leur bienveillance la pousse aujourd'hui à publier ce petit ouvrage. Elle les en remercie sincèrement.

Le garçon fleur


Junwoo réprima un grognement dépité. « Pas assez d’émotions ». Comment ça, pas assez d’émotions ? Est-ce que c’était une blague ?

« Hyung, sois honnête : est-ce que mes tableaux sont froids ? »

Il prononça cette question en se passant une main rageuse dans ses cheveux bruns, avec un ton si agacé que Kyunghoon se sentit agressé et n’osa d’abord pas répondre.

Les deux jeunes gens se trouvaient dans l’atelier de Junwoo. Il s’agissait d’une petite pièce qui avait longtemps servi de local à vélos : située au rez-de-chaussée d’un haut immeuble, elle s’ouvrait sur l’extérieur grâce à deux larges baies vitrées à travers lesquelles on pouvait admirer la cour. L’atelier était parfaitement rangé, tout était à sa place et il s’en dégageait une impression agréable de sérénité. De nombreuses toiles et des dessins tout aussi nombreux ornaient les murs ou bien étaient disposés de sorte à ne pas trop encombrer une décoration qui se révélait sobre. Plusieurs étagères se dressaient contre les murs, débordantes de matériel d’art, de carnets et de livres en tous genres.

Aux yeux de Junwoo, c’était là son paradis. Il y venait même lorsqu’il ne peignait pas, et ce n’était pas l’absence de climatisation et de radiateur qui l’empêchait de s’y rendre jour après jour.

La petite pièce lui avait été cédée par la propriétaire de l’immeuble dans lequel Junwoo louait un studio étudiant au deuxième étage. La propriétaire justement, c’était une dame âgée qui s’était entichée de ce garçon qu’elle regardait comme son fils, sans doute parce qu’elle ne s’était jamais réellement remise de la mort prématurée du sien, alors qu’il avait à peine l’âge qu’avait Junwoo aujourd’hui.

Brillant élève en première année d’une école d’art réputée, Junwoo était un jeune homme assidu, travailleur, courtois et profondément bienveillant. Il s’était attiré la sympathie de la vieille propriétaire aussi rapidement qu’elle s’était attiré la sienne.

Pour ce qui était de ses études, Junwoo n’avait rien à envier à quiconque : il était le plus doué de sa promotion, c’était incontestable. Ses toiles paraissaient si réelles qu’on pourrait tenter d’y passer les doigts pour s’assurer que le fruit peint n’était bel et bien qu’une insaisissable image.

Malheureusement, un même commentaire revenait de plus en plus fréquemment au sujet de ses œuvres : elles ne dégageaient aucune émotion. Si au début Junwoo n’y avait pas prêté grande attention, songeant que c’était sans doute parce que le sujet du devoir ne l’avait pas particulièrement intéressé, il s’était peu à peu rendu compte que ce reproche lui était régulièrement adressé.

C’en était devenu obsédant : quoi qu’il fasse, ses tableaux étaient dits dénués de toute chaleur.

Kyunghoon, voisin de palier de Junwoo avec qui il s’était rapidement lié d’amitié, fit la moue et haussa finalement les épaules avec une mine hésitante.

« Bah en même temps, bredouilla-t-il de crainte de le vexer, c’est pas totalement faux…

— Hein ? Mais c’est quoi qui donne cette impression ?

— J’en sais rien, c’est pas moi l’artiste… mais oui, c’est vrai que… c’est froid.

— Putain mais j’y comprends rien : j’adore cet endroit, comment je peux le peindre de manière froide ? »

Sur la toile qu’ils fixaient désormais tous les deux, un superbe paysage s’étendait sous un ciel d’un bleu magnifique. C’était le premier parc dans lequel s’était rendu Junwoo en arrivant à Séoul, un lieu qu’il avait aussitôt aimé et dans lequel il retournait souvent. Il s’y était perdu ces derniers jours pour y dessiner la nature qui renaissait – car le printemps était décidément une saison splendide. Alors comment son tableau pouvait-il paraître encore dénué d’émotions ?

« Eh tu sais quoi ? Ça me fait chier, râla Junwoo en reposant ses pinceaux. Sérieux ils veulent quoi ? Que je peigne avec mes larmes ? Là y aura des émotions, au moins !

— Jun, calme-toi.

— Mais merde, hyung, j’allais être major de ma promo ! Si au prochain devoir j’ai pas la meilleure note, je vais me faire griller par le deuxième !

— Et alors ? Être deuxième, c’est super aussi.

— Pas quand je rate la première place à cause d’une putain d’histoire d’émotions ! Toi, tu fais comment pour écrire des raps touchants ? Tu les y mets comment, tes émotions, dans tes textes ?

— J’écris avec un cœur sincère ? proposa Kyunghoon malgré une moue dubitative.

— Aish, c’est niais, je vais aller gerber des arcs-en-ciel si ça continue. »

Le visage écœuré de Junwoo fit sourire son aîné qui lui donna un coup d’épaule amical. Kyunghoon pour sa part était un simple employé de la poste. Il avait stoppé ses études par manque de moyens et avait décidé de travailler à la place. Il espérait néanmoins pouvoir tôt ou tard reprendre le cursus de littérature qu’il avait été contraint d’abandonner et continuait de lire régulièrement de nombreuses œuvres de tous horizons.

Outre son intérêt pour la littérature, le jeune homme était, comme l’avait souligné Junwoo, un passionné de rap. Il écrivait, composait, arrangeait, et avait souvent été complimenté pour ses travaux. Aujourd’hui, Junwoo lui enviait ce commentaire qu’il recevait : « c’est extrêmement touchant ».

Car les tableaux de Junwoo, ils impressionnaient, ils laissaient muets d’admiration, mais ils n’émouvaient pas. Ils étaient dénués de ce quelque chose qui bouleversait l’âme. Et ça, ça rendait Junwoo complètement dingue.

Tous ses efforts pour être le meilleur, réduits à néant à cause d’une putain d’émotion.

« Tu m’avais pas dit qu’un de tes profs voulait te parler demain, justement au sujet de tes peintures ? reprit Kyunghoon en regardant son cadet ranger son matériel.

— Si, d’après lui il a un travail à me proposer, un genre de devoir bonus : si je réussis, ça ferait remonter ma moyenne juste assez pour que je sois premier, sinon il ne comptera tout simplement pas ma note, du coup ça changera rien et je finirai deuxième.

— C’est un peu l’épreuve de la dernière chance.

— Voilà. Mais je sais bien ce qu’il va me demander, sauf que visiblement, j’en suis pas capable.

— Pars pas si défaitiste, Jun, si ça se trouve tu vas l’avoir, ton miracle, et tu vas décrocher cette première place. »

Junwoo opina. Il avait travaillé si dur toutes ces années pour perfectionner sa technique en même temps qu’il suivait ses cours… Si seulement il pouvait avoir, pour une fois – ne serait-ce qu’une fois –, cette étincelle de génie qui lui offrirait le haut du classement.

Ses parents se rendraient enfin compte que l’art était bel et bien le domaine dans lequel ils devaient le laisser s’épanouir.

« Je suis fatigué, soupira Junwoo lorsque son atelier fut rangé, je vais rentrer.

— Ça marche, passe une bonne soirée. »

Ils quittèrent ensemble la pièce que Junwoo referma comme toujours soigneusement derrière lui.

~~~

Le lendemain soir, lorsque Junwoo lui ouvrit la porte de son appartement, Kyunghoon fut surpris de le trouver en train de fulminer.

« J’aurais cru te voir à ton atelier en train de t’atteler à ce fameux projet bonus, admit l’aîné lorsque l’autre le laissa entrer.

— Ce fameux projet, ricana Junwoo d’un ton ironique. Ouais, meilleur projet de ma vie d’ailleurs,...