DEUXIÈME PARTIE
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Coups de théâtre
Y a-t-il une existence où l’étrange mystère de l’amour caché au plus profond du cœur ne se soit pas révélé au moins une fois ? Qui que tu sois, toi qui plus tard liras ces feuillets, rappelle tes souvenirs de ce temps le plus lumineux de la vie ! Contemple à nouveau la gracieuse image féminine qui t’est autrefois apparue comme l’essence même de l’amour ! Alors tu ne voyais, certes, en elle, que ton reflet, le reflet de ton moi divin. Te souviens-tu encore avec quelle clarté les sources murmurantes, les buissons chuchotants, le vent caressant du soir te parlaient de ton amour ? Vois-tu encore comment les fleurs te regardaient de leurs yeux clairs et doux, t’apportant saluts et baisers de ta bien-aimée ? Et elle vint, elle voulut être toute à toi. Tu la pris dans tes bras, plein d’un brûlant désir, et tu voulus détacher de la terre ton être plongé dans les flammes d’une ardente passion. Mais le mystère resta inaccompli, un sombre pouvoir te fit retomber lourdement et violemment, lorsque tu t’apprêtais à prendre ton essor avec elle vers les lointains au-delà des paradis promis. Avant même d’avoir osé l’espérer, tu avais perdu déjà ta bien-aimée. Toute voix, tout son s’étaient évanouis et l’on n’entendait plus que la plainte désespérée de l’homme seul qui gémissait horriblement à travers la sombre solitude.
Toi, étranger inconnu, si jamais douleur pareillement indicible t’a broyé l’âme, joins tes plaintes au désespoir inconsolable du moine aux cheveux blancs qui, se souvenant, dans sa cellule obscure, des jours ensoleillés de son amour, baigne de larmes sanglantes sa dure couche, et dont les sanglots mortels retentissent dans le calme de la nuit à travers les sombres couloirs du cloître.
Mais toi, toi qui te rapproches alors intérieurement de moi, tu crois aussi comme moi, n’est-ce pas, que la félicité suprême de l’amour, que l’accomplissement du mystère se réalisent dans la mort.
C’est ce que nous annoncent les voix prophétiques qui nous parviennent confusément de ces temps primitifs dont aucune mesure humaine ne peut calculer la distance ; et, de même que dans les mystères célébrés par les premiers enfants de la nature, la mort est aussi pour nous la consécration de l’amour.
Un éclair sillonna mon âme ; ma respiration s’arrêta ; mon pouls battait avec violence, mon cœur se crispait, on eût dit que ma poitrine allait éclater. Ah ! aller à Elle, aller à Elle ! L’attirer à moi dans une rage délirante d’amour ! « Tu résistes, malheureuse, au pouvoir qui t’enchaîne indissolublement à moi ? N’es-tu pas mienne, mienne à jamais ? » Pourtant, je refrénai mieux l’explosion de ma passion insensée que lorsque je vis Aurélie pour la première fois au château de son père. De plus, les yeux de tous étaient dirigés sur elle et je pus faire tout ce qu’il me plut au milieu de ces gens indifférents, sans qu’on m’eût particulièrement remarqué ou même questionné, ce qui m’aurait été insupportable, car c’est elle seule que je voulais voir et entendre, elle seule à qui je voulais penser…
Qu’on ne me dise pas que le simple négligé soit ce qui pare le mieux une jeune fille vraiment jolie ! La toilette des femmes exerce un charme mystérieux, auquel nous pouvons difficilement résister. Il se peut que cela tienne au plus profond de leur nature, mais tout ce qui est en elles se développe, acquiert plus de charme et d’éclat grâce à la toilette, de même que la beauté des fleurs ne se montre parfaite que lorsqu’elles s’épanouissent complètement, en étalant leurs multiples et brillantes couleurs. La première fois que tu vis ta bien-aimée revêtue de ses parures, n’as-tu pas senti courir un frisson inexplicable à travers tes veines et tes nerfs ? Elle te sembla si changée, mais cela même lui donnait un attrait inexprimable. Quel désir ineffable, quel tre