: Manon Lilaas
: Du bout des doigts Tome 1
: Books on Demand
: 9782322404063
: 1
: CHF 6.30
:
: Erzählende Literatur
: French
: 674
: Wasserzeichen
: PC/MAC/eReader/Tablet
: ePUB
Après un accident qui lui coûta sa vue et sa joie de vivre, Yesun éprouvait la sensation que sa cécité l'avait privé des beautés de ce monde. Il n'avait plus goût à rien d'autre qu'à la musique, si bien qu'il passait ses journées à jouer du piano chez lui en dépit de son handicap. Devenu cassant voire acerbe, son caractère chassait les infirmières qui l'assistaient dans ses tâches quotidiennes. Or, un jour, las de voir ses employées revenir furieuses, ce fut un certain Park Joyeon, jeune homme fraîchement diplômé, que l'hôpital envoya à Yesun et qui semblait renfermer plus de joie de vivre et de ténacité dans l'ongle de son petit doigt que Yesun dans son corps tout entier.

Auteure de vingt-deux ans, sur Wattpad depuis déjà plusieurs années sous le pseudonyme de Lilaas93, Manon a eu la chance d'être soutenue dans ses projets par des abonnés toujours plus nombreux. Leur bienveillance la pousse aujourd'hui à publier ce roman. Elle les en remercie sincèrement.

Chapitre 1


Yesun tenta de se charger du ménage. Toutefois, après un premier échec qui s’illustra quand il poussa trop brusquement le pied d’une table avec le balai – acte qui entraîna la chute du verre qu’il venait de poser dessus –, il se dit qu’il ferait mieux d’abandonner. Il fut conforté dans sa réflexion lorsqu’il songea que laver ensuite seul les toilettes avec un produit qui s’avérait potentiellement acide n’était pas l’idée du siècle.

Quand son ventre lui fit comprendre qu’il avait faim, il chercha à tâtons de quoi déjeuner dans ses placards. Malheureusement, ce n’était pas lui qui s'était occupé des courses : il ignorait complètement à quoi correspondaient les paquets et les conserves sur lesquels la pulpe de ses doigts s’attardait. Quel cauchemar, sérieusement !

Il abandonna et se retrouva, comme la veille, à manger des gâteaux d’une boîte que la précédente infirmière avait sortie pour lui sans la ranger. Il verrait ensuite de quoi il se nourrirait.

La journée passa de façon calme. Quand la rue en contrebas – peu fréquentée – devint parfaitement silencieuse, il devina que la nuit n’allait plus tarder. Ce quartier assez aisé était tout ce qu’il y avait de plus tranquille à cette heure, c’était agréable. Yesun marcha lentement jusqu’à son canapé, les mains devant lui pour s’assurer qu’il n’allait rencontrer aucun obstacle – et surtout pas cette maudite table basse dans laquelle il avait désormais pris l’habitude de se cogner bien trop souvent à son goût.

Les paupières fermées, il ne lui fallut pas plus de quelques minutes avant de s’endormir, et cela même en dépit de la chaleur qu’il faisait.

Yesun crut rêver quand il entendit qu’on frappait doucement à la porte de son appartement, mais c’était pourtant bien le cas. Si c’était encore Yongtae, son abruti de voisin, qui venait lui réclamer en pleine nuit (enfin, il n’était pas bien sûr que ce soit la nuit…) du sucre ou pire, des préservatifs pour copuler en toute tranquillité avec son mec, il allait franchement finir par avoir envie de le jeter par la fenêtre, lui aussi. Agacé à cette simple idée, il mit quelques secondes à trouver la serrure, y planta les clés férocement et ouvrit à la volée :

« Tae, je te jure que si tu me parles encore de cet idiot de…

— Euh… J’ai dû me tromper d’étage, balbutia une voix timide dans laquelle on sentait poindre une touche d’humour.

— Pardon ? Ah, euh, et vous êtes… ?

— Joyeon, se présenta l’inconnu à la voix douce, Park Joyeon1. Je suis à la recherche d’un certain Lee Yesun : je suis envoyé par l’hôpital, mais malheureusement…

— Connais pas. »

Avec son habituelle froideur, Yesun referma brutalement la porte de sorte à la faire claquer sans même laisser le jeune homme terminer. Ce gosse possédait une voix bien trop fluette pour être un vieil infirmier comme il en avait rencontré, c’était probablement un de ces gamins « fraîchement diplômés ». Sale mioche, comme s’il n’avait que ça à faire de s’emmerder à faire du baby-sitting avec sa cécité…

Après quelques pas, ce fut cette fois-ci la sonnette qui retentit. Yesun se crispa avant d’ouvrir de nouveau.

« Quoi encore !

— Monsieur Lee, je suis…

— Un idiot, compléta Yesun à sa place. Merci, je suis au courant, malheureusement ça ne se soigne pas. Allez, ciao. »

Et une fois de plus, il claqua la porte au nez du jeune garçon venu l’importuner. Un rictus mauvais se forma sur ses lèvres lorsqu’il imagina la tête qu’il avait dû tirer en entendant ça. Il n’allait probablement plus essayer de…

« Merde, quoi encore ! fulmina Yesun quand on sonna de nouveau.

— Monsieur Lee ? lança la petite voix. Je suis désolé d’être en retard, j’étais…

— En train de sucer, je m’en doute, » compléta-t-il encore en retournant à sa chambre.

Aïe, il ne l’avait pas épargné, ce pauvre gamin. Mais c’était la conséquence de cet acte irréfléchi qu’il avait osé commettre : il l’avait réveillé, et un Yesun qu’on réveillait, c’était inévitablement un Yesun grincheux. Même à l’époque où il était quelqu’un de plus ouvert et sympathique, il avait cette fâcheuse tendance à détester quiconque aurait l'audace de le tirer de son sommeil.

Quand son portable sonna, une heure plus tard, Yesun décrocha sans trop de doutes : son père allait encore lui passer un savon.

« Oui, papa ? demanda le jeune homme.

— Décidément, vous allez finir par me confondre avec tout votre entourage, monsieur Lee, plaisanta une voix qu’il reconnut immédiatement.

— Bye, sale gosse. »

Et il raccrocha.

C’est qu’il était tenace, le gamin…

« Monsieur Lee ? »

Non mais… il lui avait téléphoné alors qu’il se tenait encore derrière sa porte ? Yesun crut halluciner : ça faisait à présent presque une heure que ce mec se trouvait là ? Impossible, il avait dû s'occuper autrement entre temps.

« Qu’est-ce que tu fous encore là, toi ? s’énerva Yesun sans prendre la peine d’ouvrir.

— Oh, vous me répondez, maintenant ? s’étonna le jeune garçon d’un ton joyeux.

— Ouais, t’as raison, c’est débile. Je vais dormir, t’as intérêt à me laisser en paix.

— Mais je fais quoi ?

— Rentre chez toi.

— Et mon job ?

— T’en trouveras un autre.

— Pourtant on m’avait dit que vous étiez quelqu’un d’adorable… »

Cette phrase piqua la curiosité de l’aveugle. Sérieusement ? Lui, Lee Yesun, adorable ?

« Et c’est qui l’abruti qui t’a sorti une connerie pareille ?

— Les infirmières avec qui j’ai discuté quand on m’a proposé ce travail. On m’a promis de me payer le double si je réussissais à m’occuper de vous pendant plus d’un mois, alors…

— M’en fous d’ta vie, va te coucher, il est tard.

— Ça, c’est parce qu’on m’a donné la mauvaise adresse, j’ai déambulé dans les rues toute la journée. À ce propos, je voulais vous demander : j’ai horriblement chaud, est-ce qu’il serait possible de…

— Bon, écoute. Moi je suis aveugle, toi t’es sourd, chacun son handicap. Alors je vais répéter plus fort : casse-toi. »

En général, quand il haussait le ton, ça faisait peur aux pauvres petites infirmières toutes fragiles qui ne cherchaient qu’à l’aider. D’ailleurs, c’était drôle à voir quand elles…

« Donc je disais, reprit l’intrus sans se soucier de Yesun. J’aurais au moins besoin d'une douche, et puis j’ai passé trop de temps sur mon portable, j’ai usé mes derniers pourcentages de batterie pour…

— Mater un épisode d’Anpanman, pas étonnant à ton âge, s’amusa encore à compléter Yesun d’une voix cassante. Allez, dégage. »

La fierté, probablement, poussait Yesun à ne pas s’éloigner de son entrée et à désirer avoir le dernier mot de cet échange. Or, Joyeon n’avait pas l’air intéressé le moins du monde par ce qu’il disait. Au contraire, il poursuivit :

« Je les ai utilisés pour vous appeler à l’instant, alors il faudrait que je puisse contacter un taxi pour repartir.

— Mon voisin est débile mais sympa, va lui demander, à lui.

— Mais… Euh, c’est un peu délicat… Il est… enfin…

— Ah, il est déjà si tard ? s’étonna Yesun.

— Comment ça ?

— Le problème c’est que tu les entends baiser, c’est ça ? »

Depuis sa chambre, Yesun avait droit à ce concours de...