: Jean-Jacques Tijet
: Histoires choisies de Lyon et de ses environs Récits historiques
: Books on Demand
: 9782322219940
: 1
: CHF 5.70
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: Allgemeines, Lexika
: French
: 252
: Wasserzeichen
: PC/MAC/eReader/Tablet
: ePUB
L'originalité est la caractéristique principale des récits choisis pour évoquer l'histoire de Lyon et de ses environs (le Franc-Lyonnais, la seigneurie de Coligny, l'épopée des ballons-volants, les batailles près de Lyon, les moulins-bateaux, etc.). Les femmes et les hommes qui ont contribué à l'histoire de la cité ne sont pas oubliés de sainte Blandine à Guignol en passant par Louise Labé, Jacquard, Herriot et Moulin sans oublier Napoléon ! La rigueur et la clarté alliées à quelques"pincées" d'humour devraient intéresser un éventail de lecteurs très large, du passionné d'histoire au simple curieux voulant connaître les principaux épisodes de l'histoire - réputée particulière - de cette métropole française.

Champenois de naissance, ingénieur de formation Jean-Jacques Tijet se partage entre la région lyonnaise et le Pays du lac d'Aiguebelette. Passionné d'histoire, membre de la Société des Auteurs Savoyards (SAS) il est l'auteur de plusieurs livres dont le dernier est Le beau XIIe siècle en Europe et de plusieurs ebooks tous disponibles sur BoD

Le martyre de sainte Blandine


Eté 177

Malgré l’ancienneté de l’évènement, on connaît avec précision les supplices endurés par cette femme et ses 46 compagnons d’infortune !

En effet, ils sont racontés dans une lettre, écrite par un témoin oculaire, passée à la postérité sous le nom deLettre des chrétiens de Lyon à leurs frères d’Asie et de Phrygie. Connue d’Eusèbe (vers 265-339), évêque de Césarée en Palestine et auteur d’œuvres historiques et religieuses d’importance, elle est insérée telle quelle (ou de larges extraits) par celui-ci dans le cinquième livre de sonHistoire ecclésiastique, œuvre qui lui permet d’être reconnu comme « Père de l’Eglise ».

Au IIe siècle de notre ère, Lyon est un important carrefour non seulement du monde gaulois, par ses routes terrestres1 mais également du monde romain, par le Rhône ; ville commerciale en liaison avec l’ensemble du Bassin méditerranéen elle attire de nombreux négociants2 en provenance de tous pays…C’est un vaste chaos de langues et de cultes et lieu d’un va-et-vient de marchandises, d’hommes et de dieux (Sébastien Charléty).

C’est la raison pour laquelle le christianisme, religion venue d’Orient, apparaît rapidement dans la capitale des Gaules « Orientaux, soldats, marchands, ils étaient les propagateurs du nouvel Evangile ». A l’origine la petite communauté chrétienne de Lyon est constituée d’émigrants – domestiques, artisans, ouvriers – venus en plusieurs vagues (vers les années 150-160 ?) de l’Orient grec essentiellement de la côte occidentale de la Turquie actuelle dont les grandes cités sont Ephèse, Pergame et Smyrne3, sous la conduite diton d’Irénée et de Pothin, disciples de Polycarpe ; très rapidement ils firent des émules surtout parmi les pauvres et les esclaves.

Ces premiers chrétiens qui vivaient, on peut le supposer, paisiblement mais aussi marginalement, étaient surveillés par les autorités romaines car ils ne respectaient pas le culte rendu aux divinités païennes et ne reconnaissaient pas à l’empereur sa qualité divine. Considérés comme de mauvais sujets et désignés par le peuple comme responsables de ses maux et des malheurs du temps (épidémies, cataclysmes, etc.) ils étaient bien souvent la proie à la vindicte publique.

Ainsi en 177 sous le règne de Marc Aurèle, une émeute populaire – dont les causes ne sont pas connues – éclate contre les chrétiens de Lyon…tout à coup se déchaîna contre eux, une tempête de fureur et de rage, trop brusque et trop violente pour n’avoir pas été provoquée (André Steyert).

Extrait de la « lettre » : « [la foule véhémente]s’emportant contre eux à toutes les violences, les chassant des maisons, des bains, des places publiques, les poursuivant en grandes troupes avec des cris et des coups, les entourant, les tirant, les secouant, leur jetant des pierresLes sévices innombrables que leur infligeait la foule entière, ils [les martyrs]les supportèrent généreusement : ils furent insultés, frappés, traînés par terre, pillés, lapidés, emprisonnés ensemble ; on leur fit subir tout ce qu'une multitude déchaînée a coutume de faire contre des adversaires et des ennemis… ».

Ils sont arrêtés, emmenés au forum, interrogés brutalement, torturés puis emprisonnés dans des caveaux souterrains, sans aucun jour et sans air. Entassés telles des bêtes, pressés les uns contre les autres certains périrent suffoqués dont l’évêque Pothinplus que nonagénaire. D’autres, qui avaient la nationalité romaine, eurent droit à des égards… ils furent décapités ! Enfin les derniers furent livrés aux bêtes dans l’amphithéâtre et parmi eux, l’esclave Blandine4dont la fin fut sublime… Laissons « parler » la fameuse lettre :

« Blandine fut liée et suspendue à un poteau pour être dévorée par les bêtes lancées contre elle ; la regarder ainsi attachée, en forme de croix, l’entendre prier à haute voix, donnait aux athlètes un grand courage. Pas une des bêtes ne la toucha en ce moment ; détachée du poteau elle fut ramenée dans la prison et réservée pour un autre combat… Le dernier jour des combats singuliers, on amena de nouveau Blandine, avec Ponticus, adolescent d’une quinzaine d’années. Chaque jour, on les avait conduits pour qu’ils vissent le supplice des autres et on les pressait de jurer par les idoles : ils demeurèrent fermes. Aussi la foule devint-elle furieuse contre eux, au point qu’elle n’eut ni la pitié due à l’âge de l’enfant ni le respect dû au sexe de la femme. On les fit passer par toutes les tortures et ils parcoururent le cycle entier des supplices. Tour à tour on voulait les contraindre à jurer, mais en vain. Ponticus était exhorté par sa sœur, si bien que les Gentils5 eux-mêmes voyaient que c’était elle qui lui donnait courage et fermeté. Après avoir supporté tous les tourments avec constance, il rendit l’âme.

Restait la bienheureuse Blandine, la dernière de tous… Après les fouets, après les fauves, après la chaise ardente, on finit par l’enfermer dans un filet et on la présenta à un taureau. Elle fut assez longtemps projetée par l’animal, mais elle n’éprouvait aucun sentiment de ce qui lui arrivait, à cause de son espérance, de son attachement aux biens de la foi et de sa conversation avec le Christ. Elle fut enfin immolée6, elle aussi, et les Gentils avouèrent eux-mêmes que jamais, parmi eux, une femme n’avait enduré d’aussi nombreux et d’aussi durs tourments ».

Les corps des chrétiens furent brûlés et leurs cendres jetées dans le Rhône afin de satisfaire la fureur de la foule qui pensait qu’ainsi, la résurrection de ces malheureux croyants serait impossible…Il ne restera rien d’eux sur cette terre, même plus une relique.

La situation de l’amphithéâtre du martyre a fait l’objet de débats archéologiques durant le XIXe siècle et même durant la première partie du XXe ! Certains le situaient au quartier d’Ainay7, d’autres à Fourvière et d’autres encore sur la colline de la Croix-Rousse au niveau de l’ancien Jardin des Plantes où, au début des années 1800, on avait dégagé quelques parties d’un édifice romain ! C’est près de ce dernier endroit, lors d’une campagne de fouilles sérieuses entreprises en 1956, que sont découvertes deux stalles portant l’inscription suivante « En l’honneur de l’empereur Tibère César Auguste, Caïus Julius Rufus, fils de… ses fils… et son petit-fils, de la cité des Santons ont fait élever à leurs frais l’amphithéâtre8 ». Ensuite l’exploration du site permet de mettre à jour les vestiges du fameux monument, restes modestes car sa partie sud a été détruite durant les aménagements urbains de la deuxième moitié du XIXe ; ses dimensions extérieures définitives (il a fait l’objet d’un agrandissement au début du IIe siècle) sont de 105 m sur 80 avec une arène centrale ovale de 67 m sur 42 ; il pouvait contenir à peu près 20 000 personnes dans cette configuration.

Il ne fait aucun doute aujourd’hui que l’arène « aperçue » en 1820 et redécouverte en 1956 est l’amphithéâtre dit des Trois Gaules (la Celtique ou Lyonnaise, l’Aquitaine et la Belgique), à la fois sanctuaire du culte impérial et lieu des « jeux » traditionnels romains (combats de gladiateurs et exhibition/combats de fauves entre eux ou contre des hommes) ; c’est donc le lieu des persécutions des chrétiens en 177.

Il était aussi le site où se tenaient les grandes fêtes annuelles sensées consacrer l’union de Rome et de la Gaule, celle-ci représentée par les délégués de ses 60...