: Guy de Maupassant
: L'oeuvre théâtrale de Maupassant L'Intégrale des pièces
: Books on Demand
: 9782322265077
: 1
: CHF 8.70
:
: Musik, Film, Theater
: French
: 330
: Wasserzeichen
: PC/MAC/eReader/Tablet
: ePUB
Ce livre propose à la lecture l'intégrale de l'Oeuvre Théâtrale de Guy de Maupassant. On compte dans cette oeuvre 6 pièces de théâtre dont deux qui ne furent jamais représentées et une qui fut restée inachevée. La pièce (érotique)"À la Feuille de rose, maison turque" fut représentée le 13 avril 1875, pour la première fois, chez les peintres Becker et Leloir, dans leur atelier de la rue de Fleurus. Cette pièce fut publiée pour la première fois en 1945. Guy de Maupassant (1850 - 1893) a marqué la littérature française par ses six romans, dont Une vie en 1883, Bel-Ami en 1885, Pierre et Jean en 1887-1888, mais surtout par ses nouvelles, (parfois intitulées contes), comme Boule de suif en 1880, les Contes de la bécasse (1883) ou Le Horla (1887). Cette édition intégrale contient : - HISTOIRE DU VIEUX TEMPS - UNE REPETITION - MUSOTTE - LA PAIX DU MENAGE - LA TRAHISON DE LA COMTESSE DE RHUNE - A LA FEUILLE DE ROSE, MAISON TURQUE

Henry-René-Albert-Guy de Maupassant est un écrivain et journaliste littéraire français né le 5 août 1850 au château de Miromesnil à Tourville-sur-Arques (Seine-Inférieure) et mort le 6 juillet 1893 à Paris. Lié à Gustave Flaubert et à Émile Zola, Maupassant a marqué la littérature française par ses six romans, dont Une vie en 1883, Bel-Ami en 1885, Pierre et Jean en 1887-1888, et surtout par ses nouvelles (parfois intitulées contes) comme Boule de Suif en 1880, les Contes de la bécasse (1883) ou Le Horla (1887).

HISTOIRE DU VIEUX TEMPS


(1879)

Guy de Maupassant

A Madame Commanville

Madame, je vous ai offert, alors que vous seule la connaissiez, cette toute petite pièce qu’on devrait appeler plus simplement «dialogue». Maintenant qu’elle a été jouée devant le public et applaudie par quelques amis, permettez-moi de vous la dédier.

C’est ma première oeuvre dramatique. Elle vous appartient de toute façon, car après avoir été la compagne de mon enfance, vous êtes devenue une amie charmante et sérieuse; et, comme pour nous rapprocher encore, une affection commune, celle de votre oncle que j’aime tant, nous a, pour ainsi dire, faits de la même famille. Veuillez donc agréer, Madame, l’hommage de ces quelques vers comme témoignage des sentiments très dévoués, respectueux et fraternels de votre ami bien sincère et ancien camarade.

Je ne publierai point cette frêle comédie sans adresser mes bien vifs remerciements à l’homme éclairé et bienveillant qui l’a accueillie et aux artistes de talent qui l’ont fait applaudir.

Sans M. Ballande, qui ouvre si généreusement son théâtre aux inconnus repoussés ailleurs, elle n’aurait peut-être jamais été jouée. Sans Mme Daudoird, si fine comédienne, si attendrie et si charmante dans le rôle de la vieille marquise, et sans M. Leloir, qui porte avec tant de dignité les cheveux blancs du comte, personne ne l’eût, sans doute, remarquée.

Le succès, grâce à eux, a dépassé mes espérances: aussi je veux écrire leurs noms à la première page pour les assurer de ma profonde reconnaissance.

Guy de Maupassant

Paris, le 23 février 1879.

Chambre Louis XV. Grand feu dans la cheminée. On est en hiver. La vieille marquise est dans son fauteuil, un livre sur les genoux; elle paraît s’ennuyer.

UN VALET, annonçant.

Monsieur le comte.

LA MARQUISE

Enfin, cher comte, vous voici;

Vous pensez donc toujours aux vieux amis, merci Je vous attendais presque avec inquiétude;

De vous voir chaque jour on a pris l’habitude;

Puis, je ne sais pourquoi, je suis triste ce soir.

Venez, auprès du feu allons nous asseoir Et causer.

LE COMTE, s’asseyant après lui avoir baisé la main.

Moi, je suis tout triste aussi, marquise,

Et lorsqu’on se fait vieux, cela démoralise.

Les jeunes ont au coeur cargaison de gaieté;

Un nuage en leur ciel est bien vite emporté,

Et toujours tant de buts, tant d’amours à poursuivre!

Nous autres, il nous faut de la gaieté pour vivre;

La tristesse nous tue, elle s’attache à nous

Comme la mousse à l’arbre épuisé. Voyez-vous,

Contre ce mal terrible il faut bien se défendre.

Et puis, tantôt, d’Armont est venu me surprendre

Nous avons remué la cendre des vieux jours,

Parlé des vieux amis et des vieilles amours;

Et, depuis ce moment, comme une ombre incertaine,

Je revois s’agiter ma jeunesse lointaine.

Aussi je suis venu, tout triste et tout blessé,

M’asseoir auprès de vous, et parler du passé.

LA MARQUISE

Moi, depuis le matin, l’horrible froid m’assiége;

J’entends souffler le vent, je vois tomber la neige.

A notre âge, l’hiver afflige et fait souffrir;

Quand il gèle bien fort on croit qu’on va mourir.

Oui, causons, car un bon souvenir de jeunesse

Ravive par instants notre froide vieillesse.

C’est un peu de soleil…

LE COMTE

Mais dans un jour d’hiver;

Mon soleil est bien pâle et mon ciel bien couvert.

LA MARQUISE

Allons racontez-moi quelque folle équipée.

Vous étiez, dit l’histoire, un grand traîneur d’épée,

Jadis, monsieur le comte, insolent, beau garçon,

Riche, bon gentilhomme et de fière façon;

Vous avez fait scandale, et croisé votre lame

Avec plus d’un mari; car une belle dame,

Un soir que nous causions, m’a raconté, tout bas,

Que tous les coeurs sauraient au seul bruit de vos pas.

Si l’on ne m’a menti, vous avez été page,

Grand coureur de ruelle et faiseur de tapage;

Et vous avez dormi quatre mois en prison

Pour un certain manant pendu dans sa maison,

Lequel avait, dit-on, femme jeune et jolie.

La femme d’un manant, comte, quelle folie!

Quatre mois en prison pour cela! C’eût été

Dame de haute race et de grande beauté,

Soit… Voyons, prouvez-moi quelque galante histoire

De grande dame; amour romanesque, et l’armoire

Classique où le mari, dans ses retours subits,

Surprend l’amant transi parmi les vieux habits.

LE COMTE

Et pourquoi donc toujours, toujours la grande dame?

Les autres, cependant, plaisent aussi: la femme

Est faite pour charmer, qu’elle soit noble ou non.

La grâce est sans aïeux et la beauté sans nom.

LA MARQUISE

Merci! Je ne veux point de vos amours banales.

Vous avez autre chose au fond de vos annales,

Cher comte, et maintenant, je vous écoute. Allez!

LE COMTE

Il faut vous obéir, puisque vous le voulez.

Ah! Certes, le proverbe est bien vrai, sur mon âme,

Qui prétend que Dieu veut ce que veut une femme.

Quand je vins â la Cour j’étais sentimental;

J’ouvris bientôt les yeux; le réveil fut brutal Par exemple. J’aimai, j’aimai la toute belle

Comtesse de Paulé. Je la croyais fidèle.

Je la surpris, un soir, aux bras d’un autre amant;

J’en eus le coeur brisé, marquise, et sottement

Je la pleurai deux mois! Mais la Cour et la Ville

Ont bien ri. Cette engeance est envieuse et vile,

Siffle les malheureux, applaudit au succès;

J’étais trompé, j’avais donc perdu mon procès.

Pourtant, bientôt après, j’eus une autre maîtresse;

Mais nous logions encore â deux dans sa tendresse.

L’autre était un poète. Il lui tournait des vers,

L’appelait fleur, étoile, astre de l’univers,

Et je ne sais quels noms. Je provoquai le drôle;

C’était un bel esprit, il resta dans son rôle;

Trop lâche pour se battre, il fit un plat sonnet…

Et l’on en rit encor, me traitant de benêt.

La leçon, cette fois, mit un terme à mes doutes,

Je cessai d’en voir une, et je les aimai toutes.

Or je pris pour devise un dicton très ancien:

«Bien fol est qui s’y fie» et je m’en trouvai bien.

LA MARQUISE

Mais, autrefois, quand vous déclariez votre flamme,

Et soupiriez aux pieds de quelque belle dame,

L’enveloppant d’amour, de respects et de soins,

Parliez-vous ainsi?

LE COMTE

Non; mais avouez du moins,

Entre nous, que la femme est une enfant gâtée.

On l’a trop adulée, et surtout trop chantée.

Ses flatteurs attitrés, les faiseurs de sonnets,

Lui versant tout le jour, comme des robinets,

Compliments distillés au suc de poésie,

En ont fait un enfant gonflé de fantaisie.

Aime-t-elle du moins? Point du tout; il lui faut,

Non l’amour de vingt ans, et dont le seul défaut

Est d’aimer saintement, comme on aime à cet âge,

Mais un roué; celui qu’on regarde au passage

Avec étonnement et presque avec respect,

Toute femme s’émeut et tremble â son aspect,

Parce qu’il est, mérite assurément fort rare,

Le premier séducteur de France et de Navarre!

Non qu’il soit jeune, non qu’il soit beau, non qu’il ait

De grandes qualités… Rien; mais cet homme plait

Parce qu’il a vécu. Voilà la chose étrange;

Et c’est ainsi pourtant que l’on séduit cet ange!

Mais quand un autre vient demander, par hasard,

De quel tribut payer l’aumône d’un regard,

Elle lui rit au nez et demande la lune!

Et, vous le savez bien, je ne parle pas d’une,

Mais de beaucoup.

LA MARQUISE

C’est très galant; encor merci!

A mon tour, à présent, écoutez bien ceci:

Un vieux renard perclus, mais de chair fraîche avide,

Rôdait, certaine nuit, triste et le ventre vide;

Il allait, ruminant ses festins d’autrefois,

La poulette surprise un soir au coin d’un bois,

Et le souple lapin qu’on prenait à la course.

L’âge, de ces douceurs, avait tari la source;

On était moins ingambe et l’on jeûnait souvent.

Quand un parfum de...