: José Casatéjada
: Chemins Arvernes Des monts Dore aux monts Dôme
: Books on Demand
: 9782322177844
: 1
: CHF 4.60
:
: Bildbände
: French
: 188
: Wasserzeichen
: PC/MAC/eReader/Tablet
: ePUB
Lacs, volcans, l'eau et le feu, termes évocateurs qui convainquirent Jean-Marc de tenter l'aventure pédestre avec moi, en Auvergne. L'itinéraire sillonne des territoires d'exception, traverse des étendues sauvages, des régions naturelles aux paysages remarquables: forêts, rivières, estives, tourbières, montagnes, crêtes, cascades, landes. Commençant à Saint-Nectaire dans les monts Dore, reliefs aux apparences de massifs alpins, il se poursuit dans les immensités herbeuses du Cézallier, côtoie les confins du Cantal, plus vaste stratovolcan européen, s'infiltre dans le pays de l'Artense, contrée aux apparences nordiques, regagne les monts Dore avec l'ascension du Puy de Sancy, atteint la chaîne des Puys, muséum du volcanisme grandeur nature et revient au point de départ.

Né en 1949 à Montbrison dans la Loire, José CASATEJADA réside dans le Forez, entre plaine et montagne. Après des études techniques, il intègre le monde industriel : de la micromécanique au nucléaire et de la tribologie à l'automobile. Parti du Puy-en-Velay, il marche sur le mythique chemin de Compostelle, va au bout de l'Europe. Cette expérience suscite l'écriture de son premier récit-témoignage :"Via Compostela". En outre, elle éveille en lui le besoin irrésistible d'aller par monts et par vaux à la rencontre des autres et de partager ses sensations."Chemins Arvernes", ce nouveau récit de voyage relate son excursion parmi des terres d'eau et de feu, à la découverte de sentiers ancestraux...

Étape 1 : Saint-Nectaire-le-Haut – Besse-en-Chandesse


Temps pluvieux et nuageux le 12.05.2012

(25 km – 9 à 11 °C)

Sacs bouclés, vêtements imperméables endossés, bâtons de marche réglés, un dernier coup d’œil sur nos topoguides, la joyeuse troupe s’apprête à partir. Nous nous éloignons de l’imposant édifice religieux, un joyau de l’art roman auvergnat, et nous gagnons le bas de la ville. À la première côte, Sylvie et Christian abandonnent le groupe, car de soudaines et vives douleurs, qui au pied, qui au genou, les contraignent à revenir au parking. Ils gagneront Murol en voiture et viendront à notre rencontre.

Une demi-heure après le départ, nous arpentons une large piste détrempée, le GR305. Des senteurs de mousses, d’herbes et de feuilles ruisselantes se mêlent à celles de la terre mouillée ; elles embaument l’air frais de la forêt de Somme. Tête baissée, chacun marche à son pas. Au gré des conversations, le groupe se scinde, s’étire, se reforme. Les semelles pataugent dans le sol, le marquant de nos empreintes. Le chemin pénètre dans la forêt de Bouche où les feuillus disputent le terrain aux conifères. Au sortir du bois, nous croisons trois hommes d’environ soixante-dix ans, lourdement chargés. Deux d’entre eux portent une cape de pluie. Une longue feuille de plastique noir et un chapeau de brousse, enfoncé jusqu’aux sourcils, couvrent le troisième, celui-ci semble trempé jusqu’aux os. Ils s’arrêtent, la discussion s’engage. Parti de Saint-Genès-Champespe, le trio marche depuis quatre jours sous la pluie. Les traits de leurs visages défaits dessinent les traces de l’épuisement. L’homme au chapeau a chuté, il boitille et souffre d’une hanche. Ils ont hâte de rentrer à Saint-Nectaire. En repartant, je songe : « Rencontre de mauvais augure, ils viennent de là où nous allons. »

Aux alentours du lieu-dit La Maison Rouge, les masses forestières ont régressé laissant la place à d’immenses champs herbeux bordés de haies et de bosquets. Sur les hauteurs, un épais brouillard masque les sommets des collines environnantes et, malgré la réelle beauté des lieux, une atmosphère de tristesse règne sous la chape vaporeuse. Je regarde Jean-Marc et lui adresse une remarque banale :

« Nous partons sous la pluie, espérons que nous terminerons sous le soleil !

— Que dit ta météo ?

— Selon ma montre : nuages et averses pendant les trois prochaines heures, au moins.

— Demain sera un autre jour, argue-t-il sur un ton d’optimisme forcé. »

Après une courte incursion sur une route départementale, nous nous engageons sur un chemin de terre jusqu’à Chautignat. La plupart des maisons du village campagnard sont devenues des résidences secondaires. Des fermes, aux murs de pierre et toits de lauzes moussues, dont les extensions, parfois disgracieuses, altèrent le charme naturel de ces vénérables demeures.

Près d’un ancien moulin à grains, la troupe se regroupe avant de franchir les cascades bouillonnantes et boueuses du ruisseau de Chadeyre. Égayés par nos plaisanteries, nous continuons en direction du château de Murol, vestiges d’une forteresse du XIIe siècle juchée au faîte d’une éminence de basalte. Sur le parc de stationnement venté, où nous aboutissons, des corneilles s’enfuient d’un envol incertain, emmenées par les bourrasques. De la ruine massive de lave rougeâtre, nous ne verrons rien, elle demeure invisible, perdue dans le brouillard. Nous délaissons le GR30 et poursuivons vers le village. Parvenus au parc municipal du Prélong, nous retrouvons Sylvie et Christian. Ils attendent devant le musée consacré aux peintres de l’École de Murol, promue dans la première moitié du XXe siècle par le curé du village, l’Abbé Boudal.

En deux fois, Christian conduit le groupe au lac Chambon avec son véhicule. Un lac de barrage dont l’apparence actuelle résulte d’évènements naturels successifs. En premier lieu, l’encombrement de la vallée glaciaire, au fond de laquelle coule la couze de Chaudefour, provient de la création du Puy de Tartaret. En second lieu, l’effondrement partiel d’un flanc de l’ancien volcan de la Dent du Marais, qui survint plus tard. Au-jourd’hui, la végétation printanière et des lambeaux de brume dissimulent les cônes de scories du Tartaret, tout proche. Sur la départementale D996, qui longe la nappe liquide, le bruit s’intensifie avec le trafic routier.

Rêveur, je m’approche du muret surplombant la rive. Depuis mon enfance, je n’étais jamais revenu au bord des eaux sombres de ce lac. Au cours d’un voyage de fin d’année scolaire, maîtres et élèves de CM1 et CM26 avions pique-niqué dans le boqueteau situé à l’arrière de la plage est, face à l’île d’Amour. Il me souvient que le toponyme de cette île suscita des malices, prêta à rire sous cape ! Jeunes adolescents émoustillés par le terme, que savions-nous alors de l’amour ? Tendres souvenirs de mes jeunes années.

Le moment de la séparation est venu. Aux abords du lac, les embrassades succèdent aux étreintes et les signes de main aux gesticulations. Une dernière esquisse de sourire sur nos lèvres, un ultime regard vers Sylvie. L’un de mes souhaits serait qu’elle m’accompagne, ne serait-ce qu’une fois. Quel vif plaisir ressentirais-je à marcher plusieurs jours à ses côtés, à éprouver ensemble le sentiment de la beauté face aux splendeurs de la nature, à vivre en symbiose la sérénité que procure cette activité. Bien que sachant ces scènes parfois moins idylliques, l’expérience m’enchanterait. Charmerait-elle Sylvie ? La marche ne la rebute pas, elle apprécie de marcher une journée, voire deux jours, pas au-delà. La randonnée au long cours n’entre pas dans ses aspirations.

D’un pas décidé, je m’éloigne et rejoins Jean-Marc qui a allongé le sien, comme pour fuir les ronflements des moteurs et les émanations des gaz d’échappement. Silencieux, nous filons vers l’est du lac Chambon, tandis que nos compagnons se dirigent, d’un pas non moins décidé, vers l’affichage des menus des restaurants environnants.

Par le sentier qui longe le pied du modeste Tartaret, nous tentons de rejoindre l’itinéraire balisé du GR30, abandonné sur l’aire de stationnement du château de Murol. La brumaille se dissipe, laissant entrevoir les crêtes circonvoisines. Au sud du volcan, nous nous arrêtons devant la stèle érigée en mémoire du peintre paysagiste Victor Charreton, fondateur de l’École de Murol. Cette halte est mise à profit afin de consommer fruits secs et barres de céréales. Nous nous restaurerons davantage ce soir.

La large piste, bordée çà et là d’arbres aux troncs creusés par les martèlements du bec puissant des picidés, contourne le suc du Coq puis s’oriente au sud-ouest. Au fond d’un vallon, elle longe des champs verdoyants, des collines boisées et le tumultueux ruisseau de Courbanges. Malgré le ciel bas et gris, la simplicité rustique de ce paysage ainsi que son charme indéniable me captivent et me portent à inventer de folles scènes pastorales antiques. De gracieuses divinités s’ébattent dans ce décor agreste, bondissent çà et là, courent devant nous… Devant nous précisément, l’inclinaison du terrain me ramène à la réalité : le chemin caillouteux s’introduit dans la forêt et s’élève en pente raide.

À la suite d’efforts soutenus, Jean-Marc et moi atteignons le « Chemin des Quavres », une sente de crête empruntée par les troupeaux de chèvres. De vieilles crottes de biques, jonchant le sol, l’attestent ! Elle domine le vallon au fond duquel s’écoule le tumultueux cours d’eau parmi les arbustes et les buissons épineux. La trace se transforme en une large piste qui mène à un gîte d’étape et s’infléchit vers le sud. Au loin, des éboulis rougeâtres, traces des projections scoriacées du volcanisme mont-dorien, couvrent en partie le versant nord de la montagne de la Plate. Nous traversons la forêt de Courbanges, passons le pont du ruisseau de Malvoissière et débouchons sur un chemin herbeux,...