: Jack London
: Martin Eden
: Books on Demand
: 9782322236701
: 1
: CHF 2.60
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: Hauptwerk vor 1945
: French
: 504
: Wasserzeichen
: PC/MAC/eReader/Tablet
: ePUB
Martin Eden est un jeune marin au long cours. Sa vie est faite d'aventures, il aime la boisson, les filles, les bagarres. Jusqu'au jour où il rencontre Ruth Morse, jeune femme de la bonne bourgeoisie. Pour la séduire, il renonce à ses mauvaises habitudes, à ses mauvaises fréquentations. À force de travail, il se forge un savoir encyclopédique, et découvre qu'il a un réel talent pour l'écriture. Mais la famille de Ruth voit d'un mauvais oeil la liaison de leur fille avec Martin. Celui-ci se donne deux ans pour réussir, faire publier ses écrits, afin d'épouser Ruth. Martin Eden aspire à cette ascension sociale, plus dure sera la chute... Ce roman est considéré comme le meilleur et le plus autobiographique des romans de Jack London. À l'instar de son héros, Jack London se donnera la mort sept ans plus tard.

Jack London, né John Griffith Chaney le 12 janvier 1876 à San Francisco et mort le 22 novembre 1916 à Glen Ellen, Californie, est un écrivain américain dont les thèmes de prédilection sont l'aventure et la nature sauvage. Il a écrit L'Appel de la forêt, Croc-Blanc et plus de cinquante autres nouvelles et romans connus.

2


Se rendre dans la salle à manger fut une opération cauchemardesque. Il lui sembla qu’il n’y arriverait jamais – et il n’y parvint qu’avec des haltes soudaines et des trébuchements, des saccades et des embardées. Mais enfin il l’atteignit et se trouva assis à côté d’Elle. Le déploiement de couteaux et de fourchettes l’effraya et lui parut hérissé d’embûches. Il les regarda, fasciné, si bien que leur miroitement devint le fond sur lequel se mouvait une succession d’images. Il se revit dans l’entrepont d’un schooner : lui et ses compagnons mangeaient du bœuf salé avec leurs doigts et des couteaux à cran d’arrêt, ou puisaient avec des cuillers de fer toutes bosselées, une épaisse soupe aux pois dans de grossières gamelles. La puanteur du mauvais bœuf emplissait ses narines, tandis qu’il entendait, accompagnant le crissement des membrures et le gémissement des cloisons étanches, les bruyants claquements des mâchoires. En regardant ses compagnons, il estimait qu’ils mangeaient comme des cochons. Mais ici, il ferait attention de ne pas faire de bruit et toute sa volonté se tendrait vers ce but.

Son regard fit le tour de la table. Arthur et Norman étaient en face de lui. C’étaient ses frères, à Elle. Son cœur eut un chaleureux élan vers eux. Comme cette famille était unie !… Il revit la jeune fille courant au-devant de sa mère, leur baiser, le tableau qu’elles faisaient toutes deux en s’avançant, les bras entrelacés. De pareils témoignages d’affection entre enfants et parents n’existaient pas, dans son milieu. C’était une révélation des choses auxquelles pouvait prétendre ce monde supérieur – et il en fut ébloui. Par sympathie, son cœur fondit de tendresse. Toute sa vie, il avait été affamé d’amour – mais il avait dû s’en passer, et s’était endurci à la tâche. Il avait ignoré que l’amour lui était nécessaire et l’ignorait encore. Mais il en voyait les manifestations qui l’émouvaient profondément.

M. Morse n’était pas là, heureusement. Il était déjà suffisamment ardu de causer avec Elle et sa mère et son frère Norman (Arthur, il le connaissait déjà un peu). De sa vie il n’avait peiné aussi durement, lui sembla-t-il. Les travaux les plus pénibles n’étaient que des jeux d’enfants, comparés à cette épreuve… Sur son front perlaient de minuscules gouttes de sueur et sa chemise était trempée par tant d’exercices inaccoutumés. Il lui fallait manger d’une façon inhabituelle, se servir d’étranges ustensiles, regarder subrepticement autour de lui pour savoir comment accomplir chaque nouveau rite ; de plus, recevoir le flot d’impressions neuves qui l’inondaient, les noter, les classer. Le plus dur, peut-être, était de refréner cet élan vers Elle qui le tenaillait sous la forme d’une inquiétude sourde et douloureuse, d’un désir torturant de l’approcher, de cheminer sur la même route qu’Elle. Mais comment diminuer l’effroyable distance qui les séparait ?… Il lui fallait aussi, furtivement, guetter les autres, pour choisir le couteau ou la fourchette qu’il convenait de prendre pour tel ou tel plat, enregistrer les traits de cette personne, les évaluer et les comparer à ceux de la Femme Esprit. Puis, il lui fallait parler, écouter et répondre au bon moment, en se surveillant sévèrement – lui qui était habitué à un si grand relâchement de langage ! Et, pour ajouter encore à son embarras, il y avait l’incessante menace du maître d’hôtel – terrible sphinx qui apparaissait silencieusement par-dessus son épaule et parlait par énigmes qu’il s’agissait de résoudre immédiatement. Tout le temps du repas, il fut oppressé par l’idée des rince-doigts. Leur spectre ne cess