: Stefan Zweig
: Le Chandelier Enterré
: Books on Demand
: 9782322237043
: 1
: CHF 2.60
:
: Essays, Feuilleton, Literaturkritik, Interviews
: French
: 227
: Wasserzeichen
: PC/MAC/eReader/Tablet
: ePUB
Trois nouvelles, deux histoires juives et une bouddhiste que l'auteur considère comme des légendes. La première, «Le chandelier enterré», nous conte l'histoire de la menorah, le chandelier symbole de la religion juive. Dans la seconde, «Rachel contre Dieu», l'auteur reprend l'histoire de Jacob et Rachel dans la Bible, cette dernière se rebelle contre Dieu cruel envers son peuple. Et dans la troisième, «Virata», guerrier intrépide vient au secours de son roi pour empêcher une rébellion et tue sans s'en douter son frère aîné.

Stefan Zweig, né le 28 novembre 1881 à Vienne en Autriche-Hongrie et mort le 22 février 1942 à Petrópolis au Brésil, est un écrivain, dramaturge, journaliste et biographe autrichien.

RACHEL CONTRE DIEU


Légende

De nouveau le peuple obstiné et versatile de Jérusalem avait oublié l’alliance jurée, de nouveau il avait fait des sacrifices sanglants aux idoles de bronze apportées de Tyr et d’Ammon. Il ne lui avait pas suffi de dresser des autels et d’y encenser de fausses divinités, l’image de Baal se dressait même dans la propre maison de Dieu, dans le temple sacré édifié par Salomon, son serviteur, qu’empestaient la fumée et le sang des holocaustes sacrilèges.

Lorsque Dieu vit qu’on se moquait de lui jusqu’au cœur même de son sanctuaire, une colère terrible l’enflamma. Il étendit la main droite et longtemps son cri ébranla les cieux : sa patience était à bout, il avait décidé d’exterminer la ville pécheresse et de disperser ses habitants comme de l’ivraie à travers le vaste monde. L’annonce résonna comme un coup de tonnerre, d’une extrémité à l’autre de l’infini.

La terre et les cieux tremblèrent de terreur devant le ressentiment de Dieu. Les fleuves se mirent à fuir, les mers se creusèrent, les montagnes titubèrent comme des hommes ivres et les rochers s’inclinèrent ; les oiseaux tombèrent morts sur le sol. Les anges même se cachèrent la tête derrière leurs ailes immenses : bien qu’ignorant la douleur, ils ne pouvaient supporter la colère du regard de Dieu et la fureur de son cri leur avait traversé les oreilles comme une lance.

Seuls, en bas, sur la terre, les habitants de la ville condamnée, sourds aux paroles divines, ne savaient rien de l’arrêt prononcé. Ils avaient simplement constaté un tremblement soudain du sol, que la lumière du soleil s’était éteinte au milieu du jour, qu’une tempête s’était élevée qui brisait les cèdres comme fétus de paille et devant laquelle les buissons se recroquevillaient comme de petits animaux. Mais bientôt, portés par l’ouragan, des nuages accoururent et couvrirent le ciel d’un voile obscur ; le malheur planait au-dessus de la tête des impies, cependant que sous leurs pieds le sol devenait fuyant comme l’eau. Pris de terreur, ils se précipitèrent hors de leurs demeures pour que le toit ne s’effondrât pas sur eux. Mais lorsqu’ils levèrent les yeux ils eurent plus peur encore, car déjà les nuages étaient plus menaçants que des rochers, et l’air brûlant avait un goût de souffre. C’est en vain que, pareils à des déments, ils déchiraient à présent leurs vêtements et répandaient des cendres sur leurs cheveux, c’est en vain qu’ils se jetaient à terre pour demander pardon au Seigneur de leur témérité – les nuées devenaient toujours plus noires et éteignaient toute clarté sur le pays.

La colère du Tout-Puissant s’était exprimée avec tant de force que les morts eux aussi s’étaient réveillés, que les âmes des défunts étaient sorties en sursaut de leur sommeil de plomb. Car si les morts ne peuvent voir la lumière du regard de Dieu – seuls les anges supportent c