: Théophile Gautier
: Mademoiselle de Maupin
: Books on Demand
: 9782322235179
: 1
: CHF 3.60
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: Hauptwerk vor 1945
: French
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: ePUB
La «Préface», oeuvre à part entière, fait date dans l'histoire littéraire. Sur un ton enlevé, perfide et caustique, l'auteur attaque les bien-pensants, représentants de la tartufferie et de la censure, et ceux qui voudraient voir un côté «utile» dans une oeuvre littéraire, alors que l'art, par définition non assujetti à la morale ou à l'utilité, échappe à la notion de progrès pour ne s'allier qu'à celle du plaisir. Le roman lui-même, en grande partie épistolaire, nous parle avant tout de l'Amour, du Sexe, de la Femme, de l'Homme, éternels sujets...

Théophile Gautier est un poète, romancier, peintre et critique d'art français, né à Tarbes le 31 août 1811 et mort à Neuilly-sur-Seine le 23 octobre 1872 à 61 ans.

Chapitre 1


 

Tu te plains, mon cher ami, de la rareté de mes lettres. – Que veux-tu que je t’écrive, sinon que je me porte bien et que j’ai toujours la même affection pour toi ? – Ce sont choses que tu sais parfaitement, et qui sont si naturelles à l’âge que j’ai et avec les belles qualités qu’on te voit, qu’il y a presque du ridicule à faire parcourir cent lieues à une misérable feuille de papier pour ne rien dire de plus. – J’ai beau chercher, je n’ai rien qui vaille la peine d’être rapporté ; – ma vie est la plus unie du monde, et rien n’en vient couper la monotonie. Aujourd’hui amène demain comme hier avait amené aujourd’hui ; et, sans avoir la fatuité d’être prophète, je puis prédire hardiment le matin ce qui m’arrivera le soir.

Voici la disposition de ma journée : – je me lève, cela va sans dire, et c’est le commencement de toute journée ; je déjeune, je fais des armes, je sors, je rentre, je dîne, fais quelques visites ou m’occupe de quelque lecture : puis je me couche précisément comme j’avais fait la veille ; je m’endors, et mon imagination, n’étant pas excitée par des objets nouveaux, ne me fournit que des songes usés et rebattus, aussi monotones que ma vie réelle : cela n’est pas fort récréatif, comme tu vois. Cependant je m’accommode mieux de cette existence que je n’aurais fait il y a six mois. – Je m’ennuie, il est vrai, mais d’une manière tranquille et résignée, qui ne manque pas d’une certaine douceur que je comparerais assez volontiers à ces jours d’automne pâles et tièdes auxquels on trouve un charme secret après les ardeurs excessives de l’été.

Cette existence-là, quoique je l’aie acceptée en apparence, n’est guère faite pour moi cependant, ou du moins elle ressemble fort peu à celle que je me rêve et à laquelle je me crois propre. – Peut-être me trompé-je, et ne suis-je fait effectivement que pour ce genre de vie ; mais j’ai peine à le croire, car, si c’était ma vraie destinée, je m’y serais plus aisément emboîté, et je n’aurais pas été meurtri par ses angles à tant d’endroits et si douloureusement.

Tu sais comme les aventures étranges ont un attrait tout-puissant sur moi, comme j’adore tout ce qui est singulier, excessif et périlleux, et avec quelle avidité je dévore les romans et les histoires de voyages ; il n’y a peut-être pas sur la terre de fantaisie plus folle et plus vagabonde que la mienne : eh bien, je ne sais par quelle fatalité cela s’arrange, je n’ai jamais eu une aventure, je n’ai jamais fait un voyage. Pour moi, le tour du monde est le tour de la ville où je suis ; je touche mon horizon de tous les côtés ; je me coudoie avec le réel. Ma vie est celle du coquillage sur le banc de sable, du lierre autour de l’arbre, du grillon dans la cheminée. – En vérité, je suis étonné que mes pieds n’aient pas encore pris racine.

On peint l’Amour avec un bandeau sur les yeux ; c’est le Destin qu’on devrait peindre ainsi.

J’ai pour valet une espèce de mana