I — La Russie en 1807.
1807 !... glorieuse époque !... Oh ! quel est celui d’entre nous qui ne sent pas son cœur battre d’un noble orgueil en reportant sa mémoire vers ce temps à jamais célèbre, où le nom Français, semblable aux magiques talismans des siècles chevaleresques, faisait courber les plus hauts fronts et fléchir les plus opiniâtres volontés ! Napoléon ne pouvait plus monter désormais ; debout sur l’immense piédestal que son génie militaire et politique avait construit à force de conquêtes et d’habileté, il montrait à l’Europe, humiliée de tant d’audace, sa majestueuse figure dominant de toute la puissance colossale d’un héroïsme excentrique, les figures homériques dont elle était environnée. La France, fascinée par tant de victoires, séduite par le superbe rôle qu’on lui faisait jouer dans le grand drame européen ; vaine, jusqu’à l’ivresse, de l’encens qu’on lui prodiguait ; la France, prosternée en esclave aux pieds de son auguste chef, faisait sentir à son tour le poids du joug qu’on lui imposait, aux nations étrangères, qu’elle tyrannisait de son côté, afin de se dédommager de l’obligation d’une obéissance passive, si peu d’accord avec son caractère indépendant.
La Russie, ce vaste empire du Nord, qui ne luttait qu’en tremblant contre le nouvel empire prêt à envahir son territoire, la Russie, malgré son orgueil aristocratique, saluait, elle aussi, avec respect, l’astre qui resplendissait à l’Occident, et caressait, en soupirant de dépit, mais sans oser le faire paraître, les satellites lumineux de cette belle planète.
C’est à la fastueuse cour de celte Russie, qui devait plus tard ensevelir dans ses neiges destructives nos valeureux bataillons, c’est à cette cour prestigieuse que se passait la majeure partie des scènes que nous allons esquisser ici ; c’est presque remonter au siècle de Louis XIV, dont la mode semblait avoir pris à tâche de copier toutes les traditions ; mais, nous l’espérons du moins, le lecteur ne se plaindra pas d’être forcé de retourner en arrière pour nous suivre dans ce monde semi-chevaleresque, si différent de notre monde actuel, de notre monde sans apprêt et sans façon, dont, malgré notre tolérance philanthropique, nous ne saurions approuver également tous les usages, parfois opposés d’une : manière si choquante au ton de la bonne compagnie.
Eh ! voyez en effet, voyez comme elle est enivrante cette cour de Russie, si jeune, si gaie, si délirante, se groupant avec élégance autour d’un trône si gracieusement occupé ! Narbonne, Richelieu, qu’êtes-vous devenus ? Secouez la poussière de vos linceuls ; venez voir vos émules, vos rivaux ; ou plutôt, ne venez pas ; non, car cette vue vous ferait trop de mal : vous êtes surpassés, éclipsés ! Jamais votre luxe extravagant n’égala ce luxe asiatique ; jamais votre langage n’atteignit cette urbanité délic