CHAPITRE II. QU’EST-CE QUE C’ÉTAIT ?
L’Oncle Jerry se renversa confortablement dans son fauteuil, plaça ses béquilles à ces côtés, quitta son large chapeau de quaker, et se mit à dénouer le ruban blanc qui réunissait par derrière ses longs cheveux argentés, une réminiscence de la vieille passion militaire.
Tout-à-coup dans la pièce voisine, s’éleva le tintement d’une vieille horloge, silencieuse depuis plus de douze mois…un, deux, trois… puis un long silence…un, deux, trois… encore une pause…un… et ce fut fini. Ce carillon inattendu était si grinçant, si bruyant et tellement sinistre, que chacun leva la tête, et regarda avec étonnement du coté où pareil bruit venait de surgir.
– Sept seulement ! fit l’Oncle Jérémiah en sortant de sa poche unoignon de type antédiluvien : pourquoi le vieil horloge parle-t-il ainsi, après avoir été muet si longtemps ? Je pense qu’il a perdu l’esprit.
– Moi aussi, dit la Tante Sarah ; je ne l’avais point entendu bavarder ainsi depuis le jour où nous avons enterré la femme du ministre qui logeait précisément dans cette chambre ; et vous, Lucy, l’avez-vous entendu… ?
– Non, Tante Sarah ; et je suis sûre que, depuis lors, il n’avait pas sonné.
– Ouais ! continua l’Oncle Jérémiah ; moi je dis que c’est un peu étrange ! mistress Moody ne mourut-elle pas juste au bout desept jours, femme ?
– Certainement ! au moment même où l’horloge tintait.
– Et que dites vous de cela, Master Burleigh ?
– Je trouve que c’est une singulière coïncidence.
– Mais comment se fait-il que l’horloge sonne après un si long silence ; hein ?
– Oh ! les enfants y ont fourré la main, j’ose le dire.
– Et moi, je jurerais que Jeruthy Jane Pope a planté son doigt dans le pâté ; elle se trouve toujours mêlée à quelque sottise, dit la Tante Sarah.
– Oui ; mais comment arrive-t-il qu’il a sonné juste sept heures ? demanda Lucy.
– L’explication est facile, répartit le maître d’école ; l’enfant a lancé la machine dont les aiguilles se trouvaient sur cette heure-là.
– Pauvre moi ! pauvre moi ! dit l’Oncle Jérémiah, je suis si éveillé en ce moment, que si je me mets au lit je ne pourrai fermer l’œil.
– C’est un fait, père, répliqua sa femme que toute la nuit vous avez été agité ; l’orage a bien su nous tenir éveillés.
– Mais, que vais-je faire ? Si le voisin Smith, ou le voisin Hanson étaient plus proches, nous ferions une partie d’échecs : Ha-ho ! ajouta-t-il en bâillant, et jetant une de ses béquilles à terre.
À ce bruit inusité le chien leva la tête en grognant ; ensuite il agita la queue mais discrètement, car il ne lui fit frapper que trois coups sur le plancher, trois coups solennels, comme s’il eut répété une leçon donnée par l’horloge.
– C’est pitié, Iry, continua le Brigadier, que tu ne saches pas jouer ; toi dont le père était de première force.
Le maître d’école sourit.
– Peut-être pourrais-tu faire une petite partie, si je te rendais un pion ou deux : hein ?
– Non, merci. Je ne reçois jamais de tel avantages : si je joue c’est au pair.
– Oh ! oh ! répliqua le vieillard ; je t’entends, tu aimes l’égalité, hein ?
Et il tira l’échiquier à lui pour y placer les pions, tout en souriant malicieusement. Master Bu