I. Comment frère Gorenflot se réveilla, et de l’accueil qui lui fut fait a son couvent.
Nous avons laissé notre ami Chicot en extase devant le sommeil non interrompu et devant le ronflement splendide de frère Gorenflot ; il fit signe à l’aubergiste de se retirer et d’emporter la lumière, après lui avoir recommandé sur toutes choses de ne pas dire un mot au digne frère de la sortie qu’il avait faite à dix heures du soir, et de la rentrée qu’il venait de faire à trois heures du matin.
Comme maître Bonhomet avait remarqué une chose, c’est que dans les relations qui existaient entre le fou et le moine, c’était toujours le fou qui payait, il tenait le fou en grande considération, tandis qu’il n’avait au contraire qu’une vénération fort médiocre pour le moine. Il promit en conséquence à Chicot de n’ouvrir en aucun cas la bouche sur les événements de la nuit, et se retira, laissant les deux amis dans l’obscurité, ainsi que la chose venait de lui être recommandée.
Bientôt Chicot s’aperçut d’une chose qui excita son admiration, c’est que frère Gorenflot ronflait et parlait en même temps. Ce qui indiquait, non pas, comme on pourrait le croire, une conscience bourrelée de remords, mais un estomac surchargé de nourriture.
Les paroles que prononçait Gorenflot dans son sommeil formaient, recousues les unes aux autres, un affreux mélange d’éloquence sacrée et de maximes bachiques.
Cependant Chicot s’aperçut que, s’il restait dans une obscurité complète, il aurait grand’peine à accomplir la restitution qui lui restait à faire pour que Gorenflot, à son réveil, ne se doutât de rien ; en effet, il pouvait, dans les ténèbres, marcher imprudemment sur quelques-uns des quatre membres du moine, dont il ignorait les différentes directions, et, par la douleur, le tirer de sa léthargie.
Chicot souffla donc sur les charbons du brasier pour éclairer un peu la scène.
Au bruit de ce souffle, Gorenflot cessa de ronfler et murmura :
– Mes frères ! voici un vent féroce : c’est le souffle du Seigneur, c’est son haleine qui m’inspire.
– Et il se remit à ronfler.
Chicot attendit un instant que le sommeil eût bien repris toute son influence, et commença de démailloter le moine.
– Brrrrou ! fit Gorenflot. Quel froid ! Cela empêchera le raisin de mûrir.
Chicot s’arrêta au milieu de son opération, qu’il reprit un instant après.
– Vous connaissez mon zèle, mes frères, continua le moine, tout pour l’Église et pour monseigneur le duc de Guise.
– Canaille ! dit Chicot.
– Voilà mon opinion, reprit Gorenflot ; mais il est certain…
– Qu’est-ce qui est certain ? demanda Chicot en soulevant le moine pour lui passer sa robe.
– Il est certain que l’homme est plus fort que le vin ; frère Gorenflot a combattu contre le vin, comme Jacob contre l’ange, et frère Gorenflot a dompté le vin.
Chicot haussa les épaules.
Ce mouvement intempestif fit ouvrir un œil au moine, et, au-dessus de lui, il vit le sourire de Chicot, qui semblait livide et sinistré à cette douteuse lueur.
– Ah ! pas de fantômes, voyons, pas de farfadets, dit le moine, comme s’il se plaignait à quelque démon familier, oublieux des conventions qu’il avait faites avec lui.
– Il est ivre