: Alexandre Dumas père
: Le Collier de la reine
: Ktoczyta.pl
: 9788381769785
: 1
: CHF 2.90
:
: Erzählende Literatur
: French
: 992
: Wasserzeichen
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: ePUB
Le Collier de la Reine est un roman fascinant écrit par Alexandre Dumas. De nombreuses actions se déroulent ici: la reine tombe amoureuse, tricheur cardinal, la comtesse assigne des diamants et Cagliostro prédit l'avenir. Le roman d'aventure contient de vrais événements historiques, ce qui le rend plus intéressant. Un vrai pazzle pour le lecteur.

Prologue—I

Un vieux gentilhomme et un vieux maître d'hôtel

Vers les premiers jours du mois d'avril 1784, à trois heures un quart à peu près de l'après-midi, le vieux maréchal de Richelieu, notre ancienne connaissance, après s'être imprégné lui-même les sourcils d'une teinture parfumée, repoussa de la main le miroir que lui tenait son valet de chambre, successeur mais non remplaçant du fidèle Rafté; et, secouant la tête de cet air qui n'appartenait qu'à lui:

—Allons, dit-il, me voilà bien ainsi.

Et il se leva de son fauteuil, chiquenaudant du doigt, avec un geste tout juvénile, les atomes de poudre blanche qui avaient volé de sa perruque sur sa culotte de velours bleu de ciel.

Puis, après avoir fait deux ou trois tours dans son cabinet de toilette, allongeant le cou-de-pied et tendant le jarret:

—Mon maître d'hôtel! dit-il.

Cinq minutes après, le maître d'hôtel se présenta en costume de cérémonie.

Le maréchal prit un air grave et tel que le comportait la situation.

—Monsieur, dit-il, je suppose que vous m'avez fait un bon dîner?

—Mais oui, monseigneur.

—Je vous ai fait remettre la liste de mes convives, n'est-ce pas?

—Et j'en ai fidèlement retenu le nombre, monseigneur. Neuf couverts, n'est-ce point cela?

—Il y a couvert et couvert, monsieur!

—Oui, monseigneur, mais...

Le maréchal interrompit le maître d'hôtel avec un léger mouvement d'impatience, tempéré cependant de majesté.

Mais... n'est point une réponse, monsieur; et chaque fois que j'entends le motmais, et je l'ai entendu bien des fois depuis quatre-vingt-huit ans, eh bien! monsieur, chaque fois que je l'ai entendu, ce mot, je suis désespéré de vous le dire, il précédait une sottise.

—Monseigneur!...

—D'abord, à quelle heure me faites-vous dîner?

—Monseigneur, les bourgeois dînent à deux heures, la robe à trois, la noblesse à quatre.

—Et moi, monsieur?

—Monseigneur dînera aujourd'hui à cinq heures.

—Oh! oh! à cinq heures!

—Oui, monseigneur, comme le roi.

—Et pourquoi comme le roi?

—Parce que sur la liste que monseigneur m'a fait l'honneur de me remettre, il y a un nom de roi.

—Point du tout, monsieur, vous vous trompez, parmi mes convives d'aujourd'hui, il n'y a que de simples gentilshommes.

—Monseigneur veut sans doute plaisanter avec son humble serviteur, et je le remercie de l'honneur qu'il me fait. Mais M. le comte de Haga, qui est un des convives de monseigneur...

—Eh bien?

—Eh bien! le comte de Haga est un roi.

—Je ne connais pas de roi qui se nomme ainsi.

—Que monseigneur me pardonne alors, dit le maître d'hôtel en s'inclinant, mais j'avais cru, j'avais supposé...

—Votre mandat n'est pas de croire, monsieur! Votre devoir n'est pas de supposer! Ce que vous avez à faire c'est de lire les ordres que je vous donne, sans y ajouter aucun commentaire. Quand je veux qu'on sache une chose, je la dis; quand je ne la dis pas, je veux qu'on l'ignore.

Le maître d'hôtel s'inclina une seconde fois, et cette fois plus respectueusement peut-être que s'il eût parlé à un roi régnant.

—Ainsi donc, monsieur, continua le vieux maréchal, vous voudrez bien, puisque je n'ai que des gentilshommes à dîner, me faire dîner à mon heure habituelle, c'est-à-dire à quatre heures.

À cet ordre, le front du maître d'hôtel s'obscurcit, comme s'il venait d'entendre prononcer son arrêt de mort. Il pâlit et plia sous le coup.

Puis, se redressant avec le courage du désespoir:

—Il arrivera ce que Dieu voudra, dit-il; mais monseigneur ne dînera qu'à cinq heures.

—Pourquoi et comment cela? s'écria le maréchal en se redressant.

—Parce qu'il est matériellement impossible que monseigneur dîne auparavant.

—Monsieur, dit le vieux maréchal en secouant avec fierté sa tête encore vive et jeune, voilà vingt ans, je crois, que vous êtes à mon service?

—Vingt-et-un ans, monseigneur; plus un mois et deux semaines.

—Eh bien, monsieur, à ces vingt-et-un ans, un mois, deux semaines, vous n'ajouterez pas un jour, pas une heure. Entendez-vous? répliqua le vieillard, en pinçant ses lèvres minces et en fronçant son sourcil peint, dès ce soir vous chercherez un maître. Je n'entends pas que le mot impossible soit prononcé dans ma maison. Ce n'est pas à mon âge que je veux faire l'apprentissage de ce mot. Je n'ai pas de temps à perdre.

Le maître d'hôtel s'inclina une troisième fois.

—Ce soir, dit-il, j'aurai pris congé de monseigneur, mais au moins, jusqu'au dernier moment, mon service aura été fait comme il convient.

Et il fit deux pas à reculons vers la porte.

—Qu'appelez-vouscomme il convient? s'écria le maréchal. Apprenez, monsieur, que les choses doivent être faites ici commeil me convient, voilà la convenance. Or, je veux dîner à quatre heures, moi, etil ne me convient pas, quand je veux dîner à quatre heures, que vous me fassiez dîner à cinq.

—Monsieur le maréchal, dit sèchement le maître d'hôtel, j'ai servi de sommelier à M. le prince de Soubise, d'intendant à M. le prince cardinal Louis de Rohan. Chez le premier, Sa Majesté le feu roi de France dînait une fois l'an; chez le second, Sa Majesté l'empereur d'Autriche dînait une fois le mois. Je sais donc comme on traite les souverains, monseigneur. Chez M. de Soubise, le roi Louis XV s'appelait vainement le baron de Gonesse, c'était toujours un roi; chez le second, c'est-à-dire chez M. de Rohan, l'empereur Joseph s'appelait vainement le comte de Packenstein, c'était toujours l'empereur. Aujourd'hui, M. le maréchal reçoit un convive qui s'appelle vainement le comte de Haga: le comte de Haga n'en est pas moins le roi de Suède. Je quitterai ce soir l'hôtel de Monsieur le maréchal, ou M. le comte de Haga y sera traité en roi.

—Et voilà justement ce que je me tue à vous défendre, monsieur l'entêté; le comte de Haga veut l'incognito le plus strict, le plus opaque. Pardieu! je reconnais bien là vos sottes vanités, messieurs de la serviette! Ce n'est pas la couronne que vous honorez, c'est vous-même que vous glorifiez avec nos écus.

—Je ne suppose pas, dit aigrement le maître d'hôtel que ce soit sérieusement que monseigneur me parle d'argent.

—Eh non! monsieur, dit le maréchal presque humilié, non. Argent! qui diable vous parle argent? Ne détournez pas la question, je vous prie, et je vous répète que je ne veux point qu'il soit question de roi ici.

—Mais, monsieur le maréchal, pour qui donc me prenez-vous? Croyez-vous que j'aille ainsi en aveugle? Mais il ne sera pas un instant question de roi.

—Alors ne vous obstinez point, et faites-moi dîner à quatre heures.

—Non, monsieur le maréchal, parce qu'à quatre heures, ce que j'attends ne sera point arrivé.

—Qu'attendez-vous? un poisson? comme M. Vatel.

—M. Vatel, M. Vatel, murmura le maître d'hôtel.

—Eh bien! êtes-vous choqué de la comparaison?

—Non; mais pour un malheureux coup d'épée que M. Vatel se donna au travers du corps, M. Vatel est immortalisé!

—Ah, ah! et vous trouvez, monsieur, que votre confrère a payé la gloire trop bon marché?

—Non, monseigneur, mais combien d'autres souffrent plus que lui dans notre profession, et dévorent des douleurs ou des humiliations cent fois pires qu'un coup d'épée, et qui cependant ne sont point immortalisés!

—Eh! monsieur, pour être immortalisé, ne savez-vous pas qu'il faut être de l'Académie, ou être mort?

—Monseigneur, s'il en est ainsi, mieux vaut être bien vivant et faire son service. Je ne mourrai pas, et mon service sera fait comme eût été fait celui de Vatel, si M. le prince de Condé eût eu la patience d'attendre une demi-heure.

—Oh! mais vous me promettez merveilles; c'est adroit.

—Non, monseigneur, aucune merveille.

—Mais qu'attendez-vous donc alors?

—Monseigneur veut que je le lui dise?

—Ma foi! oui, je suis curieux.

—Eh bien, monseigneur, j'attends une bouteille de vin.

—Une bouteille de vin! expliquez-vous, monsieur; la chose commence à m'intéresser.

—Voici de quoi il s'agit, monseigneur. Sa Majesté le roi de Suède, pardon, Son Excellence le comte de Haga, voulais-je dire, ne boit jamais...