CHAPITRE II
LE DRAME DE TERRINGTON SQUARE
Débouchant de Seymour Street, un homme dépassa l’agent de service dans Terrington Square en le gratifiant d’un bref « bonsoir ». Le policier décrivit plus tard le passant comme un étranger, portant une barbiche en pointe. Il devait être en habit, sous son léger pardessus, car l’agent avait remarqué le chapeau claque, les escarpins vernis et le foulard de soie blanche. L’homme traversa la rue et disparut derrière le coin du jardin qui forme le centre du square. Un fiacre attardé passa en geignant, puis le camion d’un journal du matin coupant vers Paddington, et il n’y eut plus que l’agent et l’homme.
Rideaux tirés et volets clos, les maisons étaient enveloppées de sommeil et de silence.
L’homme continua son chemin jusqu’au numéro 43. Il s’arrêta une seconde, sonda la rue d’un coup d’œil et gravit les trois marches. Il tâtonna un peu avec la clef, la tourna et entra. Il s’immobilisa un instant, puis, tirant une petite lampe électrique de sa poche, il manœuvra l’interrupteur. Sans se soucier du large vestibule, il dirigea le mince faisceau de lumière sur le panneau intérieur de la porte. Deux minces fils ténus et une petite bobine fixés au linteau se passaient de commentaires. Un des fils avait été rompu au moment où la porte s’était ouverte.
« Sonnerie d’alarme, naturellement, murmura-t-il, approbateur. Toutes les fenêtres équipées de même, et Dieu sait quels pièges attendent l’imprudent ! »
Le pinceau de sa lampe fit le tour de la salle. Un épais tapis de Turquie, au pied de l’escalier tournant, attira son attention. Il sortit de sa poche une canne télescopique, l’étira et l’assujettit. Du bout de sa canne, il en souleva le coin, et ce qu’il vit parut le satisfaire ; il retourna vers la porte, où se trouvait un petit marbre dans une niche. Il lui fallut toutes ses forces pour le soulever ; il le posa à terre en chancelant et, le faisant rouler sur sa base comme les tonneliers font d’une barrique, il l’amena jusqu’au tapis au centre duquel il le lança d’un vigoureux effort. La statuette oscilla une seconde, puis, comme un éclair, disparut. Un trou noir et béant se creusa à la place du tapis. L’homme attendit. Le bruit d’un écrasement monta des profondeurs et le tapis vint doucement reprendre sa place. Sans s’émouvoir, le visiteur hocha la tête, comme approuvant la défiance du propriétaire.
« Je ne crois pas qu’il en ait appris de nouveaux, murmura-t-il avec regret ; il se fait bien vieux. »
Il fit l’inventaire des murs ; ils étaient couverts de tableaux et de gravures.
« Il n’a pas pu installer de feux croisés dans une maison moderne », continua-t-il ; et, prenant un léger élan, il sauta par-dessus le tapis et demeura un instant sur la première marche de l’escalier.
Une moitié d’armure, sur le premier palier, retint son attention. « Corps de l’époque d’Elizabeth, avec baïonnette espagnole ; ça ne ressemble pas au chef-d’œuvre d’une collection. » Il déplaça sa lampe du haut en bas de la silhouette silencieuse, menaçante, la hache levée. «