LIVRE TERRESTRE
I
Ce qui se présente en premier lieu, c’est un groupe d’hommes armés de la lance et de l’arc. Ils sont quinze, rassemblés sur le bord d’une falaise couleur de terre cuite.
À leurs pieds, une série d’abrupts, gradins de quelque immense escalier ruiné. Mille coudées plus bas, la vertigineuse descente se perd dans un marécage de brume violette, où s’épaississent, – contours tremblants, caresses grasses, – les exhalaisons de la plus riche plaine du monde. Un soleil d’été calcine ce grand morceau de terre. Avant même de se protéger le front contre cette flamme sèche qui dévore le ciel, l’homme songe à garder ses yeux de la réverbération. Les blocs de grès écroulés, la terre rouge qui les cimente, jusqu’à la falaise d’ocre qui cuit debout, tout vibre et se fend sous le choc de la chaleur. Un miroir d’acier réverbère la fournaise. La brume d’en bas mousse entre le pied du plateau et le mur noir de l’horizon. Et le cri incorporé des grillons s’étend là-dessus comme le sifflement même de la nature surchauffée.
Quinze guerriers sont rassemblés sur la lèvre de la montagne. Ils ont la tête prise dans le monumental turban de leur nation, – deux châles croisés sur une sorte de panière en forme de ruche. Une coiffe la surmonte, ornée d’une queue de cheval qui ondule et brille. Une ceinture d’étoffe serre à la taille la robe légère et la courte veste brodée. Les culottes bouffantes vont se perdre dans les demi-bottes, retroussées vers la pointe. Derrière les talons hauts, flambent deux apostrophes d’argent. Les cavaliers portent l’arc, la lance, le cimeterre, le poignard et un petit bouclier rond, très convexe, en lames de cuir, muni en son milieu d’un téton de métal poli et d’un panache en crins de jument.
Ils ne se cachent pas. Ils savent que l’excès de lumière les enveloppe aussi parfaitement que ferait la nuit. Leur groupe étincelant est dissous par le soleil. Ils parlent peu, regardent avec intensité, et se désignent par instants l’objet de leur attention par un mouvement du menton, qui est une allusion plutôt qu’un geste.
Il n’est pas difficile de deviner ce qui les retient. Vers le pied de la montagne, quelques buttes dominent les éboulis. Des spires grises les enlacent de la base au sommet ; ce sont des murs de pierre sèche ; ils soutiennent les terrasses dont, à la fin de chaque hiver, des processions de hottes vont ramasser la terre au fond des ravins.
Un amas de cubes grêlés couronne chacune de ces hauteurs. Une dernière torsion plus marquée de la spirale trace le mur d’enceinte. Au point culminant, une tour carrée, que rehaussent trois pinceaux noirs. Moitié campanile, moitié beffroi, elle porte une cloche qui sonne indifféremment l’alarme ou la prière, la fête d’un saint ou l’approche d’une horde. Qu’elle vienne à bruire, et l’on verra des espèces de fourmis se détacher des espaliers, se hâter sur les pentes du cône et disparaître de