: Guy de Maupassant
: Maupassant: Oeuvres complètes
: e-artnow
: 9788027301836
: 1
: CHF 1.80
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: Essays, Feuilleton, Literaturkritik, Interviews
: French
: 4400
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Ce livre numérique présente Les Oeuvres Complètes de Guy de Maupassant avec une table des matières dynamique et détaillée. Henry-René-Albert-Guy de Maupassant (1850 - 1893) a marqué la littérature française par ses romans, dont Une vie en 1883, Bel-Ami en 1885, Pierre et Jean en 1887-1888, mais surtout par ses nouvelles, (parfois intitulées contes), comme Boule de suif en 1880, les Contes de la bécasse (1883) ou Le Horla (1887). Ces ?uvres retiennent l'attention par leur force réaliste, la présence importante du fantastique et par le pessimisme qui s'en dégage le plus souvent mais aussi par la maîtrise stylistique. La carrière littéraire de Guy de Maupassant se limite à une décennie - de 1880 à 1890 - avant qu'il ne sombre peu à peu dans la folie et ne meure à quarante-trois ans. Reconnu de son vivant, Guy de Maupassant conserve un renom de premier plan, renouvelé encore par les nombreuses adaptations filmées de ses ?uvres.

UNE VIE


(1830)
Guy de Maupassant

I


Jeanne, ayant fini ses malles, s’approcha de la fenêtre, mais la pluie ne cessait pas.

L’averse, toute la nuit, avait sonné contre les carreaux et les toits. Le ciel, bas et chargé d’eau, semblait crevé, se vidant sur la terre, la délayant en bouillie, la fondant comme du sucre. Des rafales passaient, pleines d’une chaleur lourde. Le ronflement des ruisseaux débordés emplissait les rues désertes où les maisons, comme des éponges, buvaient l’humidité qui pénétrait au-dedans et faisait suer les murs de la cave au grenier.

Jeanne, sortie la veille du couvent, libre enfin pour toujours, prête à saisir tous les bonheurs de la vie dont elle rêvait depuis si longtemps, craignait que son père hésitât à partir si le temps ne s’éclaircissait pas, et pour la centième fois depuis le matin elle interrogeait l’horizon.

Puis, elle s’aperçut qu’elle avait oublié de mettre son calendrier dans son sac de voyage. Elle cueillit sur le mur le petit carton divisé par mois, et portant au milieu d’un dessin la date de l’année courante, 1819, en chiffres d’or. Puis, elle biffa à coups de crayon les quatre premières colonnes, rayant chaque nom de saint jusqu’au 2 mai, jour de sa sortie du couvent.

Une voix, derrière la porte, appela: «Jeannette!»

Jeanne répondit: «Entre, papa.» Et son père parut.

Le baron Simon-Jacques Le Perthuis des Vauds était un gentilhomme de l’autre siècle, maniaque et bon. Disciple enthousiaste de J. -J. Rousseau, il avait des tendresses d’amant pour la nature, les champs, les bois, les bêtes.

Aristocrate de naissance, il haïssait par instinct quatre-vingt-treize; mais, philosophe par tempérament et libéral par éducation, il exécrait la tyrannie d’une haine inoffensive et déclamatoire.

Sa grande force et sa grande faiblesse, c’était la bonté, une bonté qui n’avait pas assez de bras pour caresser, pour donner, pour étreindre, une bonté de créateur, éparse, sans résistance, comme l’engourdissement d’un nerf de la volonté, une lacune dans l’énergie, presque un vice.

Homme de théorie, il méditait tout un plan d’éducation pour sa fille, voulant la faire heureuse, bonne, droite et tendre.

Elle était demeurée jusqu’à douze ans dans la maison, puis, malgré les pleurs de la mère, elle fut mise au Sacré-Coeur.

Il l’avait tenue là sévèrement enfermée, cloîtrée, ignoré