ACTE V , SCENE III .
Sabine.
Sire, écoutez Sabine, et voyez dans son âme les douleurs d’ une soeur, et celles d’ une femme, qui toute désolée, à vos sacrés genoux, pleure pour sa famille, et craint pour son époux.
Ce n’ est pas que je veuille avec cet artifice dérober un coupable au bras de la justice : quoi qu’ il ait fait pour vous, traitez-le comme tel, et punissez en moi ce noble criminel ; de mon sang malheureux expiez tout son crime ; vous ne changerez point pour cela de victime : ce n’ en sera point prendre une injuste pitié, mais en sacrifier la plus chère moitié.
Les noeuds de l’ hyménée et son amour extrême font qu’ il vit plus en moi qu’ il ne vit en lui-même ; et si vous m’ accordez de mourir aujourd’ hui, il mourra plus en moi qu’ il ne mourroit en lui ; la mort que je demande, et qu’ il faut que j’ obtienne, augmentera sa peine, et finira la mienne.
Sire, voyez l’ excès de mes tristes ennuis, et l’ effroyable état où mes jours sont réduits.
Quelle horreur d’ embrasser un homme dont l’ épée de toute ma famille a la trame coupée !
Et quelle impiété de haïr un époux pour avoir bien servi les siens, l’ état et vous !
Aimer un bras souillé du sang de tous mes frères !
N’ aimer pas un mari qui finit nos misères !
Sire, délivrez-moi par un heureux trépas des crimes de l’ aimer et de ne l’ aimer pas ; j’ en nommerai l’ arrêt une faveur bien grande.
Ma main peut me donner ce que je vous demande ; mais ce trépas enfin me sera bien plus doux, si je puis de sa honte affranchir mon époux ; si je puis par mon sang apaiser la colère des dieux qu’ a pu fâcher sa vertu trop sévère, satisfaire en mourant aux mânes de sa soeur, et conserver à Rome un si bon défenseur.
Le vieil horace.
Sire, c’ est donc à moi de répondre à Valère.
Mes enfants avec lui conspirent contre un père : tous trois veulent me perdre, et s’ arment sans raison contre si peu de sang qui reste en ma maison.
Toi qui par des douleurs à ton devoir contraires, veux quitter un mari pour rejoindre tes frères, va plutôt consulter leurs mânes généreux ; ils sont morts, mais pour Albe, et s’ en tiennent heureux : puisque le ciel vouloit qu’ elle fût asservie, si quelque sentiment demeure après la vie, ce mal leur semble moindre, et moins rudes ses coups, voyant que tout l’ honneur en retombe sur nous ; tous trois désavoueront la douleur qui te touche, les larmes de tes yeux, les soupirs de ta bouche, l’ horreur que tu fais voir d’ un mari vertueux.
Sabine, sois leur soeur, suis ton devoir comme eux.
Contre ce cher époux Valère en vain s’ anime : un premier mouvement ne fut jamais un crime ; et la louange est due, au lieu du châtiment, quand la vertu produit ce premier mouvement.
Aimer nos ennemis avec idolâtrie, de rage en leur trépas maudire la patrie, souhaiter à l’ état un malheur infini, c’ est ce qu’ on nomme crime, et ce qu’ il a puni.
Le seul amour de Rome a sa main animée