: Charles Ferdinand Ramuz
: L'Amour du Monde
: Librorium Editions
: 9783966106351
: 1
: CHF 0.90
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: Gegenwartsliteratur (ab 1945)
: French
: 208
: Wasserzeichen
: PC/MAC/eReader/Tablet
: ePUB
Dans une petite ville au bord dun lac, la vie se déroule calmement. ' On vit entre soi, on sait qui on est. On a un petit monde à nous, devant une belle eau, parmi nos vignes '. Trois événements surviennent, qui vont tout bouleverser : linstallation dun cinéma dans la salle communale et lirruption, par les films, dun ailleurs rêvé ; le retour au pays de Louis Joël après cinq années de voyages autour du monde et enfin un illuminé qui se prend pour Jésus-Christ se met à déambuler dans les rues, insensible aux moqueries.Au fil dintrigues entre les multiples personnages, le monde onirique intérieur des protagonistes déborde et semble coloniser peu à peu le monde réel. Le désordre et la confusion sinstallent.

Charles Ferdinand Ramuz, né à Lausanne le 24 septembre 1878 et mort à Pully le 23 mai 1947, est un écrivain et poète suisse dont l'uvre comprend des romans, des essais et des poèmes où figurent au premier plan les espoirs et les désirs de l'Homme.

IV


Comme le printemps venait, Mme Joël avait été tout heureuse de voir que son fils Louis semblait s’être fait sans trop de peine à l’idée de ce mariage, et ainsi, se disait-elle, il serait « casé ».

Mme Joël s’était dit qu’une femme était encore le vrai moyen, sinon le seul, de le ramener à la bonne vie ; et, s’étant donc mise à lui en chercher une, il y avait eu cette Suzanne Bonjour, dont elle avait jugé qu’elle ferait parfaitement l’affaire, si seulement elle était consentante, mais elle l’avait été très vite, à supposer qu’elle ne le fût pas depuis longtemps.

La boutique de blanchisseuse où cette Suzanne Bonjour travaillait était deux ou trois maisons seulement plus loin que celle que Mme Joël et son fils habitaient ; chaque jour, Suzanne le voyait passer plusieurs fois de l’autre côté du vitrage, quand elle, à une table recouverte de plusieurs épaisseurs d’étoffe, pesait des deux mains sur la plaque, faisant s’élever une vapeur.

Il passait, il passait de nouveau : il avait cet air triste et absent dont le cœur des femmes s’émeut volontiers ; il n’avait même jamais regardé du côté de Suzanne, parce qu’il marchait la tête basse, mais c’est peut-être une raison de plus…

Si bien que Mme Joël n’avait eu qu’à entrer un jour dans la boutique, – n’ayant que ce fils au sujet duquel elle se tourmentait grandement depuis qu’il était de retour, et déjà avant son départ, puis pendant ses cinq ans d’absence, car il avait été absent pendant plus de cinq ans, ayant couru les terres et les mers, ayant fait à ce qu’il racontait plusieurs fois le tour du monde.

Son humeur l’empêchait de tenir en place nulle part. À seize ans, Mme Joël l’avait fait entrer comme petit commis chez un notaire ; il n’y était pas resté six mois. Comme elle avait des relations, elle lui avait trouvé ensuite une place dans les bateaux à vapeur, se disant qu’une occupation de ce genre lui conviendrait peut-être mieux, et, en effet, il prétendait ne pas pouvoir s’accommoder d’une vie trop sédentaire ; mais il n’avait pas tenu longtemps non plus dans les bateaux à vapeur. On ne quittait un lieu que pour y revenir tôt après, on tournait en rond ; les déplacements de ces bateaux n’étaient même plus des déplacements, puisqu’ils se répétaient dans un ordre toujours le même. Et Louis avait recommencé à avoir son air malheureux jusqu’à ce qu’un jour (le dernier du mois, qui est jour de paie) il n’était pas rentré à la maison.

Une carte, six mois après, était venue d’Amérique ; plusieurs mois encore s’étaient passés quand une