III
Ainsi tout fut arrangé. Des papiers avaient été signés ; et, dès qu’on put, on envoya là-haut une corvée pour les réparations qui furent rapidement menées.
On monta les paillasses dont on garnit les cadres où on couchait ; on monta enfin la chaudière à fromage, ce qui n’était pas une petite entreprise, mais elle fut menée à bien quand même.
Il ne resta plus qu’à engager les hommes qui devaient accompagner le troupeau.
Or, pendant plusieurs jours, personne ne se présenta ; on commençait à se rendre compte qu’il ne serait pas facile de trouver du monde pour monter là-haut ; c’est alors qu’arriva Clou, et le Président n’eut pas une bonne impression quand il vit que c’était Clou qui venait s’offrir le premier.
Clou penchait la tête de côté ; il toussotait :
— Il paraît que c’est à vous qu’on doit s’adresser pour l’alpage…
Il s’était mis à regarder le Président de dessous celle de ses deux paupières qui pouvait servir encore, car l’autre était pour toujours immobile sur l’orbite vide du globe de l’œil ; il avait le nez de travers, il avait la partie gauche de la figure plus petite que la partie droite ; il se tenait devant vous les mains enfoncées dans les poches, il penchait la tête de côté.
On ne savait jamais très bien s’il vous regardait ou non, de sorte que le Président se trouva embarrassé, n’ayant réussi encore à engager personne, d’une part, mais parce qu’il aurait beaucoup mieux aimé, d’autre part, s’il l’avait pu, ne pas avoir affaire à cette espèce d’hommes-là ; à un homme de cette espèce, dont plus personne ne voulait depuis longtemps ; et Clou vivait on ne savait pas très bien de quoi, allant chasser sans permis, allant pêcher sans permis, allant chercher des plantes dans la montagne, allant chercher des pierres, et on disait de l’or aussi ; tandis que, certaines autres choses, on ne se les disait qu’à l’oreille.
— Ma foi, disait le Président, tu comprends, c’est de mon cousin que ça dépend ; je le préviendrai.
— Moi, disait Clou, ça m’arrangerait assez, cet été, parce que là-haut je serais à portée…
Il allait commencer à faire nuit, c’était un samedi soir. Ils s’étaient donné rendez-vous, les deux. Ils avaient monté encore une fois, les deux, le sentier qui est en arrière du village, pendant que Clou parlait avec le Président. Ils avaient monté le sentier, ils avaient tourné avec le sentier. Un peu plus loin, était la place où ils venaient toujours s’asseoir, ayant le coucher du soleil derrière eux. Il y avait là un trou dans la haie ; lui s’y engageait le premier, puis il se retournait pour tendre la main à Victorine. Il la prenait par la main, il disait :
— Attention à ta jupe.
Elle venait, toute pliée aussi, faisant paraître d’abord sa tête ; elle venait encore, puis est ressortie dans le jour et a tendu vers lui sa figure brune, où une mèche noire toute frisée, échappée du peigne, lui tombait jusque sur le nez. Elle la ramenait derrière son oreille, tout en se redressant à son tour. Puis elle lui souriait avec toutes ses dents qui faisaient une barre blanche au bas de sa figure brune…
— Ce sera comme vous voudrez, disait Clou… Moi, j’ai le temps, décidez-vous, vous me direz…
Ils avaient le coucher de soleil derrière eux, derrière eux ils avaient la haie.
En avant d’eux, étaient les prés en pente au bas desquels il semblait que le village s’était laissé glisser, comme les gamins font sur leur fond de culotte.
Il y avait, un peu en avant du torrent, sur une partie assez plate où elle s’était arrêtée cette réunion de petits toits, qui se tenaient