: Charles Ferdinand Ramuz
: La Guerre dans le Haut-Pays
: Librorium Editions
: 9783966101356
: 1
: CHF 0.90
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: Historische Romane und Erzählungen
: French
: 244
: Wasserzeichen
: PC/MAC/eReader/Tablet
: ePUB
En 1797, les idées révolutionnaires arrivent de France dans les Préalpes vaudoises, jusqu'à la vallée des Ormonts, dans le canton de Vaud. Le Bas de la vallée est déjà acquis aux nouvelles idées, mais le Haut, très conservateur, reste attaché au canton de Berne. Dans ce contexte historique tendu, les villages du Haut se rassemblent pour résister à l'ennemi du Bas ; seuls deux individus sont tentés par la Révolution : le vieux soldat un peu anarchiste Ansermoz et David, le fils du plus virulent conservateur antirévolutionnaire, qui va le renier pour ses idées libertaires. David quitte donc son père et son village pour aller s'engager avec les soldats du Bas.

Charles Ferdinand Ramuz, né à Lausanne le 24 septembre 1878 et mort à Pully le 23 mai 1947, est un écrivain et poète suisse dont l'?uvre comprend des romans, des essais et des poèmes où figurent au premier plan les espoirs et les désirs de l'Homme.

II


Il faut dire qu’en ce temps-là de grands bouleversements étaient survenus dans le train du monde ; et, nous, on a beau être une vallée étroitement fermée, on ne peut pourtant pas empêcher que les fausses idées, à la longue, n’y entrent, et un peu du désordre qui règne aux alentours.

D’autant que le lac n’est pas loin, où la douceur de l’air et le vin de leurs vignes ont rendu les gens plus enclins à s’éprendre des nouveautés : c’est ainsi que depuis quelque temps circulaient ces histoires des droits de l’homme, de l’égalité entre hommes, et de la République instituée par le libre consentement des citoyens.

Or, dans le Haut-Pays, on était allié à ceux de Berne, c’est-à-dire à des aristocrates, mais on n’avait pas à se plaindre d’eux, au contraire ; aussi était-on très attaché aux vieilles idées et coutumes, à part quelques exceptions, surtout parmi les jeunes gens.

C’est une race âpre et dure, comme le sol d’où elle sort, que cette race de là-haut. Plus patients que souples et moins vifs que têtus, ils se méfiaient des vagues idées par quoi on voulait remplacer chez eux leurs convictions de toujours. Il faut un Dieu et un Maître ; ils avaient le Dieu de leur Bible, et un Maître aussi ils l’avaient, mais tellement lointain qu’il ne les gênait guère. Là-bas, du côté du nord, au delà de la Becca d’Audon, sont Nos Magnifiques Seigneurs, comme on les appelle, mais on ne les voit pas souvent ; et ils ont bien un représentant parmi nous, mais c’est un représentant choisi par nous ; pour le reste, on vit à notre guise : on fait ses foins quand on veut, on coupe son bois quand on veut, on trait ses vaches quand on veut. Ces arrangements-là, on s’en est toujours accommodé, nous, nos pères, nos grands-pères, et si loin qu’on puisse voir en arrière dans le temps ; ne valent-ils pas mieux que ce qu’il y a dessus ces papiers imprimés qui viennent de Paris, qu’on ne peut pas seulement comprendre ? Si ceux du bord du lac veulent en tâter, de ces nouveautés, rien ne les en empêche ; nous pas. Nous, on a, pour le présent, les Dix Commandements de la Bible expliqués et commentés, outre l’enseignement des Écritures qu’on lit chaque soir en famille ; plus tard, quand le Grand Jour viendra, chacun sera jugé selon ses mérites ; il y aura le ciel pour les uns, l’enfer pour les autres ; la grande affaire, en attendant, est de se bien conduire. Et le reste n’est que des mots, voyez-vous. Nous, on a la foi ; ça nous suffit. Continuons donc de faire comme on a toujours fait. Ne nous occupons pas de savoir ce qui se passe par le monde, où peut-être bien que Satan règne, mais, nous, heureusement, nous sommes à l’abri, parce que nous sommes une vallée reculée, et les passages qui y conduisent sont faciles à garder.

Voilà ce qu’à peu près tous pensaient, n’importe : il n’y avait pas unanimité