: Charles Ferdinand Ramuz
: La Guérison des Maladies
: Librorium Editions
: 9783965444195
: 1
: CHF 1.80
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: Hauptwerk vor 1945
: French
: 250
: Wasserzeichen
: PC/MAC/eReader/Tablet
: ePUB
Marie Grin est une jeune fille pauvre et malheureuse, qui a un père ivrogne, une mère épuisée par le labeur et un amoureux qui s'est suicidé. Mais elle va transcender son malheur en prenant sur elle tous les malheurs des autres. Tombée malade, elle va guérir un enfant gravement malade, une femme boiteuse, et peu à peu tout le village, les pauvres surtout. Les alentours viennent à son chevet se faire soigner ou juste se sentir bien auprès d'elle. Le père a arrêté de boire et se prend pour un guide spirituel, mais la jeune fille ne guérit pas seulement ses visiteurs, elle prend aussi en elle toutes leurs maladies et s'épuise rapidement.

Charles Ferdinand Ramuz, né à Lausanne le 24 septembre 1878 et mort à Pully le 23 mai 1947, est un écrivain et poète suisse dont l'?uvre comprend des romans, des essais et des poèmes où figurent au premier plan les espoirs et les désirs de l'Homme.

CHAPITRE II


Le printemps a fini par venir ; c’était le soir.

Les messieurs de la ville sortaient de chez eux pour prendre l’air ; les uns s’installaient dans leur jardin, les autres sur le pas de leur porte ; d’autres encore, qui n’avaient ni maison à eux, ni jardin, et qui étaient trop paresseux pour aller se promener, poussaient simplement une chaise dans l’embrasure de la fenêtre ouverte.

Ils avaient fini leur journée ; leurs comptes étaient bouclés. C’est un temps de répit dont on aime à profiter pour se renseigner un peu sur ce qui se passe. Ils se mettaient chacun à son poste d’observation. Et, quand ils regardaient, ils voyaient que, dans les maisons voisines, tout le monde faisait comme eux, d’où ils tiraient plus d’assurance encore et un contentement nouveau.

Nous nous sentons les coudes, comme on dit ; l’ordre règne. Nous savons exactement à quoi il faut croire, ce qu’il faut penser. On est renseigné, n’est-ce pas ? jusqu’à connaître à un franc près ce que chaque contribuable paie annuellement d’impôts. Rien ne passe inaperçu, on se surveille les uns les autres. Tiens ! voilà Mme Barrelet qui a une robe neuve ; il faut croire que le commerce de son mari va bien.

Le soleil n’était pas couché encore, mais il était très bas à l’horizon. Au bout de la grande branche flexible du ciel, pend ce fruit qui s’est alourdi en mûrissant. Sur la croûte des toits, comme celle d’un pain trop cuit, la lumière vient de côté. Un petit air de beau temps souffle, qui fait se balancer, sur la place du Port, les filets des pêcheurs tendus entre leurs perches. Et là sont aussi des petites filles qui jouent avec leurs poupées, s’étant assises en rond sur le gazon pelé.

C’est l’autre côté de la vie, c’est-à-dire le joli côté. Un bateau à vapeur paraît. On voit très bien, du bateau, les vignes, posées l’une sur l’autre, comme des marches d’escaliers, monter ainsi jusqu’en plein ciel. Il y a, dans le bateau, des dames qui ne sont pas du pays ; elles se disent : « C’est donc un pays de vignoble » ; elles s’en étonnent. Et elles admirent longuement, dans cet abandon heureux où on est quand on n’a qu’à se laisser aller au cours tranquille d’un beau voyage, le mont, la petite ville, son port, toutes ces belles choses qui passent ; avec les grands ormes du quai penchés étrangement vers l’eau, comme un qui aurait soif et qui se pencherait pour boir