: Jules Verne
: Le comte de Chanteleine
: Books on Demand
: 9782322166336
: 1
: CHF 2.20
:
: Science Fiction
: French
: 138
: Wasserzeichen
: PC/MAC/eReader/Tablet
: ePUB
Jules Verne racontant le passé : c'est à ce choix paradoxal de la part d'un écrivain visionnaire qu'appartient le Comte de Chanteleine, roman historique publié dans la revue Le Musée des familles en 1864, la même année que son illustre Voyage au centre de la terre. Tenté comme nombre de ses contemporains de livrer son épisode de la Révolution, l'écrivain, né à Nantes, reprend l'histoire au 24 février 173. En suivant le comte de Chanteleine que l'inquiétude presse de rejoindre ses terres, le lecteur traverse la presqu'île guérandaise avant d'embarquer pour Quimper, Fouesnant et Douarnenez. A l'époque où il écrit ce récit, Jules Verne est encore, et avant tout, dramaturge : Le Comte de Chanteleine mené tambour battant ne fait l'économie d'aucun coup de théâtre. L'intérêt n'a guère l'occasion de faillir : le savoir-faire consommé de l'écrivain assure son lecteur d'un plaisir entier à suivre ces terribles péripéties.

De tous les écrivains français, Jules Verne est le plus connu et le plus reconnu à l'étranger tout en étant le plus méconnu dans son propre pays. Pour certains, c'est le père de la science-fiction; et pour d'autres, c'est un simple auteur d'ouvrages pour la jeunesse. Ces deux façons de penser ont beau être répandues, elles n'en sont pas moins fausses. Jules Verne naît en 1828 à Nantes, d'un père avocat. Enfant, il se passionne pour les voyages et observe souvent les bateaux en partance. Il raconte même, dans ses souvenirs d'enfance, comment, naufragé sur l'île Feydeau située au milieu de la Loire, il s'est pris pour un Robinson pendant quelques heures. Étudiant, il se lance dans la littérature et quitte le droit au désespoir de son père. Après quelques pièces de théâtre, dont une (Les Pailles rompues, 1850) qui connaît un certain succès, il s'essaie au roman et, en 1862, rencontre Hetzel, le célèbre éditeur auquel il propose le manuscrit de Cinq Semaines en ballon; celui-ci lui donne quelques conseils et quelques semaines pour retravailler ce premier jet. Quelques temps après, Jules Verne le lui ramène et Hetzel le publie: c'est le succès. Suivront de nombreux romans qui feront de lui l'auteur le plus imaginatif de son siècle : Voyage au centre de la Terre (1864), De la Terre à la Lune (1865), Autour de la Lune (1869), Vingt Mille Lieues sous les mers (1869-1870), Le Tour du monde en 80 jours (1872)...

I


Dix mois d’une guerre héroïque


Le 24 février 1793, la Convention nationale décréta une levée supplémentaire de trois cent mille hommes pour résister à la coalition étrangère ; le 10 mars suivant, le tirage des conscrits devait avoir lieu à Saint-Florent, en Anjou, pour le contingent de cette commune.

Ni la proscription des nobles, ni la mort de Louis XVI n’avaient pu émouvoir les paysans de l’Ouest ; mais la dispersion de leurs prêtres, la violation de leurs églises, l’intronisation des curés assermentés dans les paroisses, et enfin cette dernière mesure de la conscription, les poussèrent à bout.

– Puisqu’il faut mourir, mourons chez nous ! s’écrièrent-ils.

Ils se jetèrent sur les commissaires de la Convention, et, armés de leurs bâtons, ils mirent en pleine déroute la milice rassemblée pour protéger le tirage.

Ce jour-là, la guerre de Vendée venait de commencer ; le noyau de l’armée catholique et royale se formait sous la direction du voiturier Cathelineau et du garde-chasse Stofflet.

Le 14 mars, la petite troupe s’empara du château de Jallais, défendu par les soldats du 84e et par la garde nationale de Charonnes. Là, fut enlevé aux républicains ce premier canon de l’armée catholique, qui fut baptiséLe Missionnaire.

– À cela il faut une suite, dit Cathelineau à ses camarades.

Cette suite fut la guerre de ces paysans, qui mirent aux abois les meilleures troupes de la République.

Après le coup de main du château de Jallais, les deux chefs vendéens s’emparèrent de Chollet, et firent des cartouches avec les gargousses des canons républicains. Le mouvement gagna, dès lors, les provinces du Poitou et de l’Anjou ; à la fin de mars, Chantonnay fut pillé, Saint-Fulgent pris. Pâques approchait ; les paysans se séparèrent pour aller accomplir leurs devoirs religieux, cuire du pain et changer leurs sabots usés à poursuivre les Bleus.

En avril, l’insurrection recommença : les gars du Marais et ceux du Bocage se rassemblèrent sous les ordres de MM. de Charette, de Bonchamps, d’Elbée, de la Rochejaquelein, de Lescure, de Marigny. Des gentilshommes bretons vinrent se jeter dans le mouvement, et parmi eux, l’un des plus braves, l’un des meilleurs, le comte Humbert de Chanteleine ; il quitta son château, et rejoignit l’armée catholique, forte alors de cent mille hommes.

Le comte de Chanteleine, toujours au premier rang, fut pendant dix mois de toutes les victoires comme de toutes les défaites, vainqueur à Fontenay, à Thouars, à Saumur, à Bressuire, vaincu au siège de Nantes, où mourut le généralissime Cathelineau.

Bientôt, toutes les provinces de l’Ouest furent soulevées.

Les Blancs marchèrent alors de victoire en victoire, et ni Aubert Dubayet, ni Kléber avec ses terribles Mayençais, ni les troupes du général Canclaux ne purent résister à leur indomptable ardeur.

La Convention, effrayée, ordonna de détruire le sol de la Vendée et d’en chasser les « populations ». Le général Santerre demanda des mines pour faire sauter le pays, et des fumées soporifiques pour l’étouffer ; il voulait procéder par l’asphyxie générale. Les Mayençais furent chargés de « créer le désert » décrété par le Comité de salut public.

Les troupes royales, à ces nouvelles, devinrent terribles ; le comte de Chanteleine commandait alors un corps de cinq mille hommes ; il se battit en héros à Doué, aux Ponts-de-Cé, à Torfou, à Montaigu. Mais enfin, l’heure des revers sonna.

Le 9 octobre, de Lescure fut vaincu à Châtillon ; le 15, les Vendéens étaient chassés de Chollet ; quelques jours plus tard, Bonchamps et d’Elbée tombaient frappés à mort. Marigny et Chanteleine firent des prodiges de valeur, mais les colonnes républicaines les serraient de près ; il fallut songer alors à repasser la Loire avec une armée fugitive qui comptait encore quarante mille hommes en état de combattre.

Le fleuve fut franchi au milieu d’une extrême confusion. Chanteleine et les siens rallièrent l’armée de La Rochejaquelein, qui venait d’être nommé généralissime, et là, malgré Kléber, les Blancs remportèrent une grande victoire devant Lavai, la dernière de cette héroïque campagne.

En effet, les Blancs étaient désorganisés. Chanteleine travailla de son mieux à refaire l’armée royale ; il n’en avait ni le temps ni les moyens. Marceau venait d’être nommé général en chef par le Comité de salut public, et il poursuivait les royalistes avec une extrême vigueur. La Rochejaquelein, Marigny, Chanteleine, durent se replier sur le Mans, puis se rejeter dans Lavai, d’où ils furent chassés une troisième fois, et fuir enfin vers Ancenis, afin de repasser sur la rive gauche de la Loire.

Mais pas un pont, pas un bateau ; la masse désespérée des paysans descendit la rive droite du fleuve, et, ne pouvant regagner la Vendée, les fuyards n’eurent d’autre ressource que de se jeter sur la Bretagne. À Blain, ils remportèrent un dernier avantage d’arrière-garde, et se précipitèrent vers Savenay.

Le comte de Chanteleine n’avait pas un seul instant failli à son devoir ;