: Charles Ferdinand Ramuz
: Aimé Pache peintre vaudois
: Librorium Editions
: 9783965088757
: 1
: CHF 1.80
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: Hauptwerk vor 1945
: French
: 278
: Wasserzeichen
: PC/MAC/eReader/Tablet
: ePUB
Aimé Pache est un enfant solitaire. Attiré par le dessin, on l'envoie prendre des leçons chez un professeur auquel il obéit sans plaisir. Son refuge : un espace au-dessus de l'ancien four banal, qu'il aménage comme un mini-atelier. L'école n'est pas son fort, mais il obtient néanmoins son baccalauréat. Sa mère voudrait qu'il devienne pasteur, comme c'est l'habitude dans les familles de campagne aisées. Mais sa vocation s'est inscrite au plus profond de lui : il veut devenir peintre. Son père tempête, les études payées à son fils n'ayant ' servi à rien '. Docilement, il s'inscrit à l'université, mais la mort de son père le libère enfin : il part pour Paris.

Charles Ferdinand Ramuz, né à Lausanne le 24 septembre 1878 et mort à Pully le 23 mai 1947, est un écrivain et poète suisse dont l'?uvre comprend des romans, des essais et des poèmes où figurent au premier plan les espoirs et les désirs de l'Homme.

II


Il eut le bonheur de naître planté profond en terre, et nourri de profond, comme un arbre avec ses racines. Il y en a qui sont seulement posés dans un pays. Lui, quand on lui demandait : « D’où es-tu ? » il pouvait répondre : « Je suis d’ici depuis toujours. »

Ils sont tous Pache, ou presque, à Valençon. Et quand ils s’y sont établis, et d’où ils sont venus, personne ne pourrait le dire. Cela s’est fait dans les très anciens temps, quand le pays peut-être était encore catholique, et savoyard, avec un duc ; et bien d’autres temps sont venus depuis ; l’une par-dessus l’autre, sont venues les années, et les dizaines et les centaines d’années ; à présent, on ne sait plus.

On sait seulement qu’ils sont presque tous Pache, et par conséquent presque tous parents, ayant une même origine. Mais le juge était riche, et puis aussi il était juge.

Son père, pourtant, le vieux Siméon, avait tout au plus, comme on dit, « de quoi », quand il s’était mis en ménage. Seulement il était têtu. Il était de ces vieux tout rasés et têtus qui vont toute leur vie dans une même direction, avec rien qu’une idée en tête, et cette idée était qu’il fallait gagner de l’argent. À force de s’être levé, tous les jours, l’été à quatre heures, et à cinq l’hiver, pendant cinquante ans ; de s’être, pendant cinquante ans, tenu penché sur la charrue, il avait laissé à sa mort quarante poses et quinze bêtes, outre les Bornes, le château, et pas mal d’argent à la banque. Il avait été adroit, dur pour les autres et dur pour lui. Et puis, un jour, il était mort. Le juge avait gardé les Bornes ; à la tante Sabine était revenu le « château ». C’était, dans le haut du village, une grosse maison carrée, plus haute que les autres, avec un toit pointu, et il y avait, sur le faîte, deux grosses boules en fer-blanc. Les dernières années de sa vie, le vieux Siméon l’avait habitée, étant trop vieux pour travailler, et tordu par les rhumatismes. La mort le trouva là, qu’il appelait et espérait impatiemment, se sentant inutile avec ses pauvres mains nouées. Et le juge l’avait aussitôt remplacé.

C’est ainsi une force qu’il y a dans ces lignées d’hommes, restés aux mêmes lieux, dans les mêmes idées, et se les repassant, et se transmettant ces idées. Ils ne meurent pas tout entiers. Aux Bornes, rien n’avait changé. Le même éclair des faux entre les arbres au temps des foins, le même roulement des chars qui rentrent le soir, lourds de gerbes, le même grand toit brun, à peine les noyers plus touffus d’année en année, mais on ne le remarque pas ; et le juge, longtemps, comme avait fait son père (il n’était pas encore juge, en ce temps-là), avait cultivé lui-même son bien. Il avait fallu qu’il fût nommé juge pour se décider à prendre un fermier.

Parce qu’il avait de l’intelligence, et qu’on le savait juste et expérimenté, il avait été nommé juge ; i