: Guy de Maupassant
: Le docteur Héraclius Gloss
: Books on Demand
: 9782322161171
: 1
: CHF 2.20
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: Hauptwerk vor 1945
: French
: 161
: Wasserzeichen
: PC/MAC/eReader/Tablet
: ePUB
"La métempsycose, c'est moi ; c'est moi qui ai découvert la loi des évolutions des âmes. C'est moi qui fus Pythagore." Le docteur s'arrêta soudain, plus pâle qu'un linceul."Pardon, dit-il, Pythagore, c'est moi." Et ils se regardèrent de nouveau. |" Le docteur Héraclius Gloss, qui n'a tien d'un plaisantin, est fortmel : Pythagore, le célèbre philosophe grec, est revenu. Il s'est réincarné. Mais où se cache-t-il ? Et sous quelle apparence doit-il se manifester ? En chien ? En singe ? Dans chaque animal qu'il rencontre, Héraclius croit reconnaître un grand homme ! Et voilà que sa maison se transforme en une invraisemblable ménagerie... Et si Pythagore s'était tout simplement réincarné en... docteur Héraclius Gloss ? Une chose est sûre : les animaux du bon docteur Gloss n'ont pas fini de rire des extravagances de leur maître...

Guy de Maupassant est un écrivain français né le 5 août 1850 au château de Miromesnil à Tourville-sur-Arques (Seine-Inférieure) et mort le 6 juillet 1893 à Paris. Lié à Gustave Flaubert et à Émile Zola, il a marqué la littérature française par ses six romans, dont Une vie en 1883, Bel-Ami en 1885, Pierre et Jean en 1887-1888, et surtout par ses nouvelles (parfois intitulées contes) comme Boule de suif en 1880, les Contes de la bécasse (1883) ou Le Horla (1887). Ces oeuvres retiennent l'attention par leur force réaliste, la présence importante du fantastique et par le pessimisme qui s'en dégage le plus souvent, mais aussi par la maîtrise stylistique.

Épaves


J’aime la mer en décembre, quand les étrangers sont partis ; mais je l’aime sobrement, bien entendu. Je viens de demeurer trois jours dans ce qu’on appelle une station d’été.

Le village, si plein de Parisiennes naguère, si bruyant et si gai, n’a plus que ses pêcheurs qui passent par groupes, marchant lourdement avec leurs grandes bottes marines, le cou enveloppe de laine, portant d’une main un litre d’eau-de-vie et, de l’autre, la lanterne du bateau. Les nuages viennent du nord et courent affolés dans un ciel sombre ; le vent souffle. Les vastes filets bruns sont étendus sur le sable, couvert de débris rejetés par la vague. Et la plage semble lamentable, car les fines bottines des femmes n’y laissent plus les trous profonds de leurs hauts talons. La mer, grise et froide, avec sa frange d’écume, monte et descend sur cette grève déserte, illimitée et sinistre.

Quand le soir vient, tous les pêcheurs arrivent à la même heure. Longtemps ils tournent autour des grosses barques échouées, pareilles à de lourds poissons morts ; ils mettent dedans leurs filets, un pain, un pot de beurre, un verre, puis ils poussent vers l’eau la masse redressée qui bientôt se balance, ouvre ses ailes brunes et disparaît dans la nuit, avec un petit feu au bout du mât. Des groupes de femmes, restées jusqu’au départ du dernier pêcheur, rentrent dans le village assoupi, et leurs voix troublent le lourd silence des rues mornes.

Et j’allais rentrer aussi quand j’aperçus un homme ; il était seul, enveloppé d’un manteau sombre ; il marchait vite et parcourait de l’œil la vaste solitude de la grève, fouillant l’horizon du regard, cherchant un autre être.

Il me vit, s’approcha, me salua ; et je le reconnus avec épouvante. Il allait me parler sans doute, quand d’autres humains apparurent. Ils venaient en tas pour avoir moins froid. Le père, la mère, trois filles, le tout roulé dans des pardessus, des imperméables antiques, des châles ne laissant passer que le nez et les yeux. Le père était embobiné dans une couverture de voyage qui lui montait jusque sur la tête.

Alors le promeneur solitaire se précipita vers eux ; de fortes poignées de main furent échangées, et on se mit à marcher de long en large sur la terrasse du Casino, fermé maintenant.

Quels sont ces gens restés ainsi quand tout le monde est parti ?

Ce sont les épaves de l’été. Chaque plage a les siennes.

Le premier est un grand homme. Entendons-nous : un grand homme de bains de mer. La race en est nombreuse.

Quel est celui de nous qui, arrivant en plein été dans ce qu’on appelle une station de bains, n’a pas rencontré un ami quelconque ou une simple connaissance venue déjà depuis quelque temps, possédant tous les visages, tous les noms, toutes les histoires, tous les cancans.

On fait ensemble un tour de plage. Soudain on rencontre un monsieur sur le passage duquel les autres baigneurs se retournent pour le contempler de dos. Il a l’air très important ; ses cheveux longs, coiffés artistement d’un béret de matelot, encrassent un peu le col de sa vareuse ; il se dandine en marchant vite, les yeux vagues, comme s’il se livrait à un travail mental important, et on dirait qu’il se sent chez lui, qu’il se sait sympathique. Il pose, enfin.

Votre compagnon vous serre le bras :

« C’est Rivoil. »

Vous demandez naïvement :

« Qui ça, Rivoil ? »

Brusquement votre ami s’arrête et, vous fixant dans les yeux, indigne :

« Ah ! çà, mon cher, d’où sortez-vous ? Vous ne connaissez pas Rivoil, le violoniste ! Ça, c’est fort par exemple ! Mais c’est un artiste de premier ordre, un maître, il n’est pas permis de l’ignorer. »

On se tait, légèrement humilié.

Cinq minutes après, c’est un petit être laid comme un singe, obèse, sale, avec des lunettes et un air stupide ; celui-là c’est Prosper Glosse, le philosophe que l’Europe entière connaît. Bavarois ou Suisse allemand naturalisé, son origine lui permet de parler un français de maquignon, équivalent à celui dont il