: Guy de Maupassant
: Les soeurs Rondoli
: Books on Demand
: 9782322161201
: 1
: CHF 2.20
:
: Erzählende Literatur
: French
: 168
: Wasserzeichen
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: ePUB
«- On ne se marie qu'une fois, fillette, parce que le monde l'exige, mais on peut aimer vingt fois dans sa vie parce que la nature nous a faits ainsi. Le mariage est une loi, vois-tu, et l'amour c'est un instinct qui nous pousse tantôt à droite, tantôt à gauche. On a fait des lois qui combattent nos instincts, il le fallait ; mais les instincts toujours sont les plus forts, et on ne devrait pas trop leur résister, puisqu'ils viennent de Dieu tandis que les lois ne viennent que des hommes. Si on ne parfumait pas la vie avec de l'amour, le plus d'amour possible, mignonne, comme on met du sucre dans les drogues pour les enfants, personne ne voudrait la prendre telle qu'elle est.»

Guy de Maupassant est un écrivain français né le 5 août 1850 au château de Miromesnil à Tourville-sur-Arques (Seine-Inférieure) et mort le 6 juillet 1893 à Paris. Lié à Gustave Flaubert et à Émile Zola, il a marqué la littérature française par ses six romans, dont Une vie en 1883, Bel-Ami en 1885, Pierre et Jean en 1887-1888, et surtout par ses nouvelles (parfois intitulées contes) comme Boule de suif en 1880, les Contes de la bécasse (1883) ou Le Horla (1887). Ces oeuvres retiennent l'attention par leur force réaliste, la présence importante du fantastique et par le pessimisme qui s'en dégage le plus souvent, mais aussi par la maîtrise stylistique.

La patronne


Au docteur Baraduc.

J’habitais alors, dit Georges Kervelen, une maison meublée, rue des Saints-Pères.

Quand mes parents décidèrent que j’irais faire mon droit à Paris, de longues discussions eurent lieu pour régler toutes choses. Le chiffre de ma pension avait été d’abord fixé à deux mille cinq cents francs, mais ma pauvre mère fut prise d’une peur qu’elle exposa à mon père : « S’il allait dépenser mal tout son argent et ne pas prendre une nourriture suffisante, sa santé en souffrirait beaucoup. Ces jeunes gens sont capables de tout. »

Alors il fut décidé qu’on me chercherait une pension, une pension modeste et confortable, et que ma famille en payerait directement le prix, chaque mois.

Je n’avais jamais quitté Quimper. Je désirais tout ce qu’on désire à mon âge et j’étais disposé à vivre joyeusement, de toutes les façons.

Des voisins, à qui on demanda conseil, indiquèrent une compatriote, Mme Kergaran, qui prenait des pensionnaires. Mon père donc traita par lettres avec cette personne respectable, chez qui j’arrivai, un soir, accompagné d’une malle.

Mme Kergaran avait quarante ans environ. Elle était forte, très forte, parlait d’une voix de capitaine instructeur et décidait toutes les questions d’un mot net et définitif. Sa demeure, tout étroite, n’ayant qu’une seule ouverture sur la rue, à chaque étage, avait l’air d’une échelle de fenêtres, ou bien encore d’une tranche de maison en sandwich entre deux autres.

La patronne habitait au premier avec sa bonne ; on faisait la cuisine et on prenait les repas au second ; quatre pensionnaires bretons logeaient au troisième et au quatrième. J’eus les deux pièces du cinquième.

Un petit escalier noir, tournant comme un tire-bouchon, conduisait à ces deux mansardes. Tout le jour, sans s’arrêter, Mme Kergaran montait et descendait cette spirale, occupée dans ce logis en tiroir comme un capitaine à son bord. Elle entrait dix fois de suite dans chaque appartement, surveillait tout avec un étonnant fracas de paroles, regardait si les lits étaient bien faits, si les habits étaient bien brossés, si le service ne laissait rien à désirer. Enfin, elle soignait ses pensionnaires comme une mère, mieux qu’une mère.

J’eus bientôt fait la connaissance de mes quatre compatriotes. Deux étudiaient la médecine, et les deux autres faisaient leur droit, mais tous subissaient le joug despotique de la patronne. Ils avaient peur d’elle, comme un maraudeur a peur du garde-champêtre.

Quant à moi, je me sentis tout de suite des désirs d’indépendance, car je suis un révolté par nature. Je déclarai d’abord que je voulais rentrer à l’heure qui me plairait, car Mme Kergaran avait fixé minuit comme dernière limite. À cette prétention, elle planta sur moi ses yeux clairs pendant quelques secondes, puis elle déclara :

– Ce n’est pas possible. Je ne peux pas tolérer qu’on réveille Annette toute la nuit. Vous n’avez rien à faire dehors passé certaine heure.

Je répondis avec fermeté : « D’après la loi, madame, vous êtes obligée de m’ouvrir à toute heure. Si vous le refusez, je le ferai constater par des sergents de ville et j’irai coucher à l’hôtel à vos frais, comme c’est mon droit. Vous serez donc contrainte de m’ouvrir ou de me renvoyer. La porte ou l’adieu. Choisissez. »

Je lui riais au nez en posant ces conditions. Après une première stupeur, elle voulut parlementer, mais je me montrais intraitable et elle céda. Nous convînmes que j’aurais un passe-partout, mais à la condition formelle que tout le monde l’ignorerait.

Mon énergie fit sur elle une impression salutaire et elle me trai